La lueur de la bougie ondulait sur les murs desséchés de la pièce, léchant la peinture écaillée et salie par les années. La poussière recouvrant le sol laissait entrevoir des marques convergeant au centre de la cellule, comme si la Forme allongée en son sein se déplaçait de temps à autre en rampant. Une traînée, plus large que les autres menaient à l'unique ouverture percée dans le béton. Un trou béant, trop étroit pour un être humain semblait avoir été créé par le poing démesuré d'un être hors de ce temps. Il laissait filtrer un mince filet d'air, charriant avec lui des effluves d'une liberté lointaine.
La forme se redressa, prenant appui sur ses longs bras filiformes. Elle se rapprocha de la bougie, remuant sa masse grotesque sur le sol poussiéreux de sa cellule. Deux excroissances faisant vaguement penser à des mains se rapprochèrent de la flamme, la caressèrent et la firent onduler. Les reflets sur les murs se mirent en mouvement un instant, leur danse ravivant une part d'humanité en Elle. Son corps rétrécit presque imperceptiblement, ses longs bras se raffermirent et l'ont pu même distinguer un semblant de visage se former au sommet de sa masse.
Elle resta ainsi de longues minutes, de longues heures. Des jours entiers s'écoulèrent, des mois, des années. Elle étira finalement ses bras, bâillant et découvrant de nouveau des sensations dans les muscles de ses jambes. Elle se leva, tremblant quelque peu, découvrant avec délice des sensations si longtemps oubliées sous la plante de ses pieds.
Elle fit quelques pas, occupant l'espace, caressant les murs froids du bout des doigts. De temps à autre, un lambeau de peinture s'en décrochait, rejoignant la masse informe de poussière jonchant le sol. Elle baissa le regard en rencontrant son ombre sur la paroi, forme presque humaine, tremblotante et effacée. Sa main frôla avec une douce mélancolie le vide béant en centre de sa poitrine à travers duquel la douce flamme projetait sa danse sur le mur sale.
Des frissons s'emparent soudainement d'Elle. L'ouverture ne se trouvait qu'à quelques millimètres de ses doigts, attirante, magnifique, dérangeante. Il parcourut ses fissures des doigts, les caressant presque amoureusement. Elle se crispa violemment en atteignant finalement le rebord. Ses mains s'y agrippèrent et Elle rapprocha son visage de l'ouverture. Ses pensées s'évadèrent au-delà de sa prison, voletant au gré des courants. Le ciel s'ouvrait à Elle. Sa teinte rosée se perdait jusqu'à l'horizon, se reflétait parmi les nuages. L'air frais de la, liberté caressait sa peau nue, la faisant frissonner de bonheur. Elle ouvrit alors les yeux et sentit immédiatement son coeur se crisper. Une sueur glacée perla sur son front. L'abîme sous Elle s'imposa à sa vue. Glaçante, terrifiante, effroyable. Seule, sa minuscule cellule, perdue au milieu de cet océan d'inconnu, paraissant offrir un semblant de protection. Elle s'y engouffra, jetant un dernier regard vers la trame rosée du ciel.
Elle était là. Devant elle. Cette liberté qui la rendait humaine. Les gonflements de sa chair la défigurèrent. Ses jambes cédèrent sous son poids et elle dû ramper pour se rapprocher de la flamme fébrile. Une douce chaleur l'enveloppa, soulageant sa peine.
Ce ballet se poursuivit dans les méandres éthérés de son esprit. Se répétant inlassablement. La petite bougie à la flamme éternelle, seule spectatrice de cet acte, ondulait encore et encore, inlassablement. Seule, la masse de poussière couvrant le sol nu et froid de la cellule portait la marque du temps. Lorsqu'Elle caressa le rebord de la faille, ses pieds nus disparurent totalement sous une épaisse couche de poussière fine. Elle se laissa de nouveau porter par la flamboyance du ciel, happée par cette liberté qui s'offrait à elle. Son esprit s'évada, et son corps suivit. Il se tordit et se contorsionna pour traverser le trou, goûtant pour la première fois à la douceur de l'air. Chaque pore de sa peau respirait, ses poils se dressèrent sur son épiderme et ses poumons s'emplirent. Son coeur se mit à battre, timidement, puis vigoureusement. Elle ouvrit les yeux, s'attendant à rencontrer ce terrifiant gouffre sous ses pieds. Cet insondable abîme qui la terrorisait. Mais Elle fut accueillie par un rire. Un son nouveau, produit par sa propre bouche. Vivant, scintillant. Elle se retourna pour tenter d'apercevoir les murs de sa prison, de cette demeure qui l'avait accueilli pendant si longtemps. Elle fouilla le paysage des yeux pendant un long moment, puis remarqua la petite bougie posée sur le sol. Sa flamme toujours aussi vive dansait dans le vent. Elle la ramassa, et avec un sourire souffla sur la flamme. Cette dernière vacilla un bref instant, puis disparu.
Elle s'avança lentement vers le soleil qui disparaissait derrière la ligne d'horizon. Son coeur battant pour la première fois, guidant ses pas.