C'est dans cette optique là, la tête pleine de pensées amoureuses, que j'étais donc partie une semaine à la campagne pour travailler avec ma meilleure amie. La deuxième semaine, on allait à la mer avec ses parents.
Déjà, je ne lâchais plus mon portable. Il était devenu ma seconde main, puisqu'il fallait absolument que je garde contacte avec Houssam. Je savais désormais que nous avions une heure de décalage horaire. Donc de temps en temps, il fallait accepter que l'autre soit occupé. Mais sans se l'être dit, on c'était mis d'accord tout naturellement pour se donner des nouvelles très régulièrement, et pour s'envoyer des photos de notre vie. Comme ça, on se sentait plus proches. Au fond, j'étais heureuse de pouvoir partager ma vie avec lui. Je ne sais pas pourquoi, je n'avais jamais ressenti ce besoin avant, tout simplement car je vivais très bien sans. Mais avoir quelqu'un à qui se confier, ça fait plaisir. Bon, je ne le connaissais que depuis un mois, au final, j'étais encore trop immature pour savoir mettre des limites et tout contrôler. Je pensais à l'époque que je savais très bien ce que je faisais. Mais c'est avec le recul que je réalise que j'ai laissé l'amour, les sentiments s'emparer de moi à une vitesse affolante. Je lui ai offert toute ma vie, puisqu'il devenait la mienne. J'avais beaucoup de mal à arrêter de penser à lui. Pourtant, j'avais aussi très envie de partager des bons moments avec ma pote.
C'est là qu'entre ma vie de tous les jours et notre relation virtuelle a commencé à se creuser un fossé.
On ne peut pas toujours être scotché à son téléphone. On ne peut pas toujours vivre dans l'angoisse permanente que si la personne ne répond pas elle nous quittera.
Et pourtant, j'ai tenté d'allier les deux.
Ma pote était témoin de mes petites crises de nerfs quand je n'avais pas de connexion. J'étais assez insupportable, et au fond, même si je refuse de vivre dans le regret, parfois je me dis que sans lui j'aurais vécu beaucoup d'autres choses. Mais peut-être aussi que je n'aurais pas évolué de la même façon. Je n'aurais peut-être pas eu ce parcours, il y a des gens que je n'aurais pas rencontré. On pourrait peser le pour et le contre pendant des heures, je préfère en venir à la conclusion que mon adolescence c'est passée ainsi, qu'on n'y changera rien et qu'elle m'a fait grandir d'une bonne manière. Même s'il y avait d'autres manières d'évoluer, la mienne est plutôt atypique, et je préfère être fière de mon parcours. Bien sûr que je ne l'ai pas toujours été, ça se travaille la confiance en soi. Et c'est un travail perpétuel chez moi je pense.
Enfin bref, pour en revenir à ces deux semaines, j'en ai beaucoup de souvenirs. Cet été reste mon dernier été où je pouvais encore dire non à une relation à distance qui commençait déjà à me faire souffrir. Mais il y avait des choses qui me rassurait. Voir que mes potes étaient là pour moi, savoir que j'entrais en première littéraire (comme j'adore lire et écrire, forcément, j'étais quasiment sûre de passer deux bonnes années au lycée, pas comme mon année de seconde qui a été catastrophique à mes yeux.)
Après la ferme on est allées à l'île d'Oléron. Entre le vélo, les promenades où on finit perdues à courir après les parents de ma pote, la mer sous la pluie et les délires débiles, franchement, avec le recul le seul point noir c'est qu'il me fallait toujours mon téléphone.
A ce jour ma liberté est de pouvoir sortir, ne pas avoir de connexion, rater un appel sans avoir peur que mon copain me quitte, m'en veuille ou réclame des excuses. Quelle angoisse...
A la fin de ses deux semaines on a pleuré avec ma meilleure pote. Bien oui, on ne va pas être dans la même classe, ça fera la deuxième année où on sera séparées.
Sur le retour j'avais un peu les boules, je savais que j'allais être confrontée seule à mes pensées de merde.
Houssam me montrait ses potes en vidéos et en photos. Ils étaient tout souriant, au bord de la mer. Et honnêtement, c'était lui le plus beau. Je rêvais de courir dans ses bras, que ce soit à l'aéroport, dans une gare où au bord de la mer. Je me disais que c'était très cliché, alors pour me faire encore plus souffrir, je regardais des vidéos de couple à distance qui se rencontrait pour la première fois. Leurs amis ou leur famille filmait. Je trouvais ça trop beau, bien sûr. Je n'essayais pas de me retenir de pleurer, tout comme je n'ai pas essayé d'éviter la relation à distance.
A quoi bon tenter de rencontrer un mec proche si un garçon, aussi loin soit-il, m'aimait à la folie ?
Mais le petit problème, c'est que je ne pouvais pas le dire à mes parents. Dans ma tête c'était très clair qu'Houssam et moi on était amoureux, en couple, il n'y avait aucun doute sur ses bonnes attentions. Je n'avais pas peur de lui. Je me méfiais parfois, mais je lui partageais mes angoisses. Et s'il me parlait juste pour se trouver une copine en France et espérer venir pour me tromper ? Et s'il voulait juste de l'argent ? Mais non, il me rassurait à chaque fois. Il s'en foutait de mon argent. Il se moquait de la France. Non pas qu'il dénigrait le pays, mais il voulait juste partir du Maroc, me disait-il. Pas forcément aller en France, juste voyager, vivre loin de ses parents et de son quotidien qui avait l'air de beaucoup lui peser.
Au fond je me disais que si on s'était connus ce n'était pas le destin, car il l'avait cherché et j'avais accepté. Mais c'était un heureux hasard. S'il était vraiment à la recherche d'une copine, pourquoi aller chercher aussi loin ? C'est vrai qu'il m'avait déjà répondu à cette question. C'est vrai aussi qu'à l'époque, on avait un ami en commun. Je ne sais plus qui.
Houssam était musulman. De temps en temps il allait prier. J'ai appris que dans l'Islam, il y avait cinq prières, à des heures bien précises de la journée.
Je ne connaissais ni la culture du Maghreb, ni l'Islam, ni les traditions. Donc je lui posais quelques questions. Je suis de nature curieuse et mes parents m'ont appris à m'intéresser aux autres, à ce qui m'entoure et à être à l'écoute. Ils m'ont aussi montré, de part leurs gestes du quotidien, leur métier, leur façon de parler, que la tolérance et l'ouverture d'esprit sont de bonnes valeurs. C'est tout naturellement que j'allais vers Houssam avec mes interrogations, mes oreilles attentives et mes craintes mesurées.
Cet été, juste avant la rentrée, j'ai appris que comme chez les chrétiens, chez les musulmans il y avait aussi les pratiquants et les non pratiquants. Houssam m'expliquait qu'il y avait ceux qui faisaient la prière, et ceux qui ne la faisaient pas, ou que de temps en temps, ou juste pendant le ramadan.
Parfois, quand il m'expliquait les choses, il avait du mal à trouver les mots. Alors je l'aidais. J'adorais faire ça. Je corrigeais ses erreurs quand il écrivait. Je faisais attention aux mots que j'employais, puisqu'il ne les connaissait pas tous. Je remarquais qu'il se débrouillait très bien quand même, mais qu'il faisait souvent les mêmes erreurs. Pour lui le féminin et masculin était compliqué. Les pronoms aussi. Les conjugaisons étaient difficiles aussi, mais vue la complexité de la conjugaison française c'est largement pardonnable.
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Sans frontière
RandomCette histoire est entièrement réelle. Elle n'est pas terminée. Elle a commencé il y a cinq ans. Aujourd'hui, je veux vous la raconter, avec les mots qui viennent sur le moment. C'est difficile de se souvenir de tout. Parfois, je ne trouve pas...