Chapitre 1

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   Les souvenirs étaient secs. Secs, peut-être plus que la terre qui servait de lit à son dos douloureux. Il ne fixait rien. Le vent, ses yeux, tout était sec. Il ne lui restait que la maigre lueur du Soleil.

  Il avait gardé les yeux ouverts. Pas pour s'émerveiller de la beauté de la verdure. Il avait gardé les yeux ouverts, comme on ouvrirait la bouche dans l'attente d'avoir quelque chose à dire. Il n'avait rien à voir. Ivre de temps, il attendait le moment où son œil succomberait à la lumière.

   Il n'avait pas soif. Il n'avait pas faim. Du moins, il en était convaincu. 

   Il attendait.

   Personne n'était venu, personne ne viendrait. Personne ne viendrait plus.

   Le Soleil avança, et le corps de ce dernier était sur la figure du vieil homme allongé. Il ne céderait pas. Pas cette fois.

   Quand Adashy entendit un grognement, il ferma les yeux, soudain.

   Il ouvrit grand ses bras étalés sur le sol aride, et il attendit, encore.

   Le grognement reprit, il se leva.

   Son corps entier lui fit mal. Il toucha de ses paume rugueuse son dos. En rapprochant la main de son visage, il vit les gouttes de sang perler sur ses doigts. Adashy regarda le Soleil, abîmé de son courroux persistant.

   Pourtant, l'astre n'était responsable d'aucun crime, à part celui d'être resté constant, de ne pas s'être couvert de nuages, d'avoir fait face à Adashy de longues heures.

   Le vieil homme mit un pied devant l'autre, essayant d'avancer. Chaque pas lui arrachait des larmes de douleur. Ses yeux n'étaient plus secs, mais pour combien de temps ?

   Il se dirigea vers la verdure, vers la forêt, décidé à retrouver la trace du grognement qu'il avait entendu.

   Un craquement sourd brisa l'attention de son ouïe. Il se retourna, doucement.

   Quand il eut fait un tour sur lui-même, il le vit. C'était lui. Lui qui avait séché tout autour. Lui qui avait rendu le Soleil brûlant si insupportable, qui avait rendu l'odeur des bois si douloureuse.


   Adashy regarda l'ours qui se tenait face à lui.

   Ce dernier avait une entaille à l'œil. Elle n'était pas très profonde, mais elle rendait l'animal reconnaissable entre tous.

  -  Au moins nous sommes tous deux estropiés, mon ami. Adashy lança à l'ours, dédaigneux.

  L'animal se mit à grogner.

   Adashy s'approcha, mais son dos le retint, lui arrachant un cri de douleur. Il respirait avec difficulté.

  -  Qu'est-ce que tu veux ? Retournes-toi d'où tu viens. Le vieil homme tenta de dissuader l'ours d'approcher en agitant rapidement ses bras. Il s'épuisait.

  L'animal le regardait avec curiosité, sans animosité. Mais Adashy savait.

  -  Je leur avait dit... Je leur avait dit, de ne pas... Le vieil homme se mit à pleurer. Je leur avait dit de ne pas te regarder dans les yeux. Et, et... ils ne m'ont pas écouté. Regardes où nous sommes tous deux aujourd'hui. L'ours ne bougea pas. Bien sûr, tu n'es qu'un animal, tu ne comprends pas.

   Adashy se recroquevilla, son dos lui faisait terriblement mal. Là encore, l'ours ne bougea pas.

  -  Les miens, sont allés par-delà les forêts, par delà les montagnes. Chassés. Comme toi. Et pourtant, nous nous sommes rebâtis. Il reprocha à l'animal, méprisant. Alors qu'est-ce que tu fais là. Qu'est-ce que tu fais là ? Tu as tout pris de moi.

  Le vieil homme tourna les yeux, soupirant.

   Il se baissa, et tira sur une tige. Il examina la fleur qui se tenait au bout avec tristesse.

  -  Les roses Cherokee... Tu sais. Ce sont les fleurs qui ont poussées quand les mères ont perdu leurs enfants. Tout était perdu, mais pas l'espoir. Les fleurs ont poussées... Là où les larmes ont coulées. Toi aussi, tu as perdu ton petit, je sais.

   L'ours rugit.

  -  Mais tu n'avais pas droit de prendre le cœur du mien ! Adashy tomba les deux genoux à terre. Que suis-je maintenant ? Autre que le poumon poussiéreux, errant de ce bois. Où vais-je... Il se remit à pleurer. Vas-t-en.

   L'animal ne bougea pas.

  -  Tu m'écoute ? VAS-T-EN ! J'ai pris ton œil, et toi mon cœur. Que veux-tu d'autre ?

   Adashy regarda avec douleur l'animal se cambrer sur ses pattes arrières. Le vieil homme se leva et usa de ses dernières forces. Il lutta, aussi fort qu'il le put. Il agita ses bras, et se mit à crier.

  -  Vas-t-en ! Vas-t-en !

  Voyant que l'animal ne bougeait pas, Adashy s'approcha, prudemment, et déposa la rose aux pieds de l'ours.

   Ce dernier n'attaqua pas. Il regarda la fleur, la fit bouger d'un coup de museau. Il regarda Adashy dans les yeux, et se retourna calmement vers la forêt.

   Adashy s'écroula sur le sol, parmi les roses Cherokee.

   Il vit les nuages d'oiseaux s'envoler, entendit la mélodie harmonieuse de la rivière, et attendit là, parmi les roses Cherokee. L'ours et lui avaient payé leur dette, ils étaient libres.

   Libres de s'évader, de s'évanouir. Libres de fermer les yeux. Adashy avait les yeux humides. Le sol n'était plus sec, son cœur était savant. Tous deux avaient payé. Il attendit alors que le Soleil s'éteigne, il attendit que les étoiles dans le ciel s'allument, que le vent devienne frais, et que les animaux sortent de la forêt.

   Il attendait. Il rejoindrait les courageux marcheurs de la piste des larmes, son fils, sa femme, les siens.

   Il attendrait la nuit, parmi les roses Cherokee.



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⏰ Last updated: Mar 21, 2020 ⏰

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Le chemin des LarmesWhere stories live. Discover now