Jour 3

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Le félin feula et se débattit vigoureusement, essayant d'attaquer la main qui le maintenait à plusieurs pieds du sol. Mais la poigne se resserra plus fort sur la peau de son cou, lui arrachant un miaulement de rage. À quelques mètres de là, deux enfants, les joues ruisselantes de larmes, regardaient leur père briser en mille morceaux leur joie nouvellement acquise. Un élan, et le jeune chaton se retrouvait propulsé dans les airs avant d'atterrir durement sur le sol dans un glapissement douloureux. La porte claqua, et un cri s'éleva de l'intérieur de ce qui fut pour quelques jours – caché dans la chambre des petits – sa maison.

« Qu'est-ce que je vous ai mille fois répété ? Jamais mon foyer n'accueillera un tel chat !

– Mais Père, osa l'un des enfants, il était abandonné, on ne pouvait pas le laisser dans la rue.

– Bien sûr que si. C'est là qu'est sa place. Là, ou aux enfers ! Et quelle idée de lui donner un nom pareil... Filez dans votre chambre maintenant, je ne veux plus jamais entendre parler de cet animal ! »

Vendredi Treize claudiqua sous la pluie, cherchant un abri dans une ruelle du quartier. Rapidement, les gouttes vinrent coller les poils de sa fourrure noire, le glaçant jusqu'aux os. Un faible miaulement quitta ses entrailles et vint s'évanouir dans l'air, supplanté par le bruit du déluge qui tombait sur la ville. Le chaton n'avait que quelques mois, et pour la troisième fois consécutive, il venait de se faire expulser de ce qu'il pensait son foyer. Il ne demandait pourtant pas grand chose, un peu de chaleur et beaucoup d'amour, n'était-ce pas ce que tous les humains étaient prêts à donner à une adorable boule de poils comme lui ? Mais quelque chose semblait clocher chez lui. Quelque chose qu'il n'identifiait pas. Il voyait pourtant bien le regard méfiant et plein d'appréhension que les humains posaient sur lui. Le petit animal pas plus grand qu'une chaussure se glissa sous un carton, le cœur gros, et se roula en boule en essayant d'éviter les trous qui laissaient passer quelques gouttes. Abri de fortune, mais toutefois mieux que s'il devait passer la nuit sous la pluie. Il ne s'en serai probablement pas réveillé.

Cette nuit-là, il fit un rêve. Car il est acquis que les chats rêvent. Il rêva qu'il était très vieux, au crépuscule d'une vie longue et prospère, entouré, aimé, choyé. Que cette chose qu'il ne comprenait pas et qui pesait sur lui comme une malédiction n'existait pas. Qu'il n'était plus rejeté. Qu'il était heureux. Au matin, il était tétanisé par le froid et ne s'était jamais senti aussi seul. Désespéré. Son ventre vide protestait, il s'en inquiéta. Pourtant, il n'osait sortir de sa cabane de fortune, terrifié par le monde extérieur.

Soudain, le carton se trouva soulevé, comme si quelqu'un savait qu'il se trouvait dessous. Le petit animal se recroquevilla sur lui-même, sortit les crocs et feula, faible menace face à l'homme qui se tenait devant lui. Pour un humain, il était déjà grand, frôlant les deux mètres, mais pour le chaton, il était semblable à un géant. Il le fixa de ses deux yeux d'un bleu tirant vers le blanc, et s'agenouilla devant lui. L'humain n'en était pas un, et s'appelait Samaël. Il prit le frêle chaton dans ses mains, et lui murmura :

« Je vais te ramener chez moi. Toi et tes semblables y êtes pour l'éternité les bienvenus. »

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