Une simple nouvelle on ne peut plus réaliste.

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           Il y a de cela deux semaines, je me suis découvert deux petites ailes, dans le dos. Minuscules, presque ridicules, et pourtant si belles et fragiles que je voulais les protéger de tout mon être. En prenant l'air avec elle, dans une grande inspiration, je me suis envolé. Haut dans le Ciel, presque même dans l'espace je croyais. Je touchais les étoiles, je voyageais parmi les nuages, je trouvais mon chemin là où il n'en existait pour personne avant moi. J'ai vu des couleurs que personne n'a jamais approché, j'ai découvert des contrées que je n'aurais jamais imaginé. Et alors, la fatigue vint. Tout doucement, avec tristesse, je suis retombé au sol. La chute me fit mal aux chevilles un instant, mais j'allais bien. Je me rappelais avec un sourire l'exaltation, la liberté que j'avais ressenti en volant. Mon corps tout entier n'était qu'une plume virevoltant au gré du vent, mon cœur était une bulle de savon, si fragile qu'il aurait dû éclater dès la première seconde, et pourtant tenant du début à la fin. La vie est une bulle, je le sais. Elle apparaît d'un autre, virevolte quelques temps, elle balade au gré des caprices de son environnement, puis sans même qu'on s'en aperçoive, elle éclate en une seconde. 

          Ces quelques minutes de vol m'ont fait prendre conscience de quelque chose. Toute ma vision du Monde a changé. Les gens étaient si petits de là-haut! Les étoiles devaient bien rire avec Le Petit Prince en nous voyant, ridicules que nous sommes à vouloir les toucher du bout des doigts! Moi j'avais pu les approcher, ne serait-ce qu'un instant, et j'avais senti leur douce chaleur m'envelopper, je le crois. Je ne veux pas vivre dans ce Monde triste, gris, où je dois regarder la pluie me tomber sur la tête. Je veux être au dessus du nuage, toucher la pluie comme un touche un courant d'eau pour se rafraîchir un jour d'été, et bronzer au Soleil vif. C'est là mon destin. Je ne veux pas un bureau terne et des collègues rabats-joie, je veux l'aventure et la liberté. Mais pour le moment, je veux surtout dormir.


          Le lendemain, je me réveille encore fatigué. Pour mon plus grand plaisir, mes ailes sont toujours là, et je crois qu'elles sont peut-être un peu plus grandes qu'avant, mais c'est si imperceptible que j'en doute moi-même. J'ai surtout faim. Mon petit-déjeuner ressemble à un festin de roi, et je manque presque mon bus 25 minutes plus tard. Je dois aller au lycée, continuer ma vie banale pour l'instant. Mes projets de grand voyage devront attendre. Je vais m'exercer avec mes ailes, et un jour, je le sais, je prendrai le large, ni en bateau ni en avion, mais par mes propres moyens.

          Toute la journée, les cours m'ennuient à mourir. Je n'ai qu'une envie, dormir. Et je le fais sans attendre. Après tout, si les professeurs voulaient qu'on les écoute, ils feraient des cours plus intéressants. Je sais pas moi, montrez-moi un grand monde nouveau peut-être. Malheureusement, la sorcière qui sert de cerbère dans cette classe a les yeux d'un aigle, et à peine mes paupières se plissent qu'elle est déjà devant mon bureau, une règle à la main, comme si les années 50 étaient encore d'actualité. Je n'ai pas envie de me battre avec elle, alors je me décide à bredouiller une excuse bidon, en priant pour qu'elle accepte cela et me foute la paix.      

 "Euuh.. J'ai eu une nuit difficile madame... Désolé..                                                                                             

-Si vous vouliez continuer votre nuit un peu plus longtemps, vous n'aviez qu'à rester chez vous jeune homme."
Vieille peau je vous jure.

          La journée se poursuit ainsi continuellement, entre ennui et sommeil. Depuis mon premier vol, je ne rêve plus que de cela. Je veux ressentir à nouveau cette liberté, ce plaisir. Un tel sentiment inoubliable, où même la gravité semble oublier votre existence. Où le chaud et le froid semblent vous caresser ensemble  pour vous donner la sensation de n'être qu'un avec l'air. C'est peut-être même au delà de toute liberté imaginable. Les oiseaux, égoïstes, ont gardé ce secret pour eux si longtemps! Quels lâches! J'aurais tant voulu découvrir ce Monde nouveau plus tôt, au lieu de souffrir chaque jour en priant pour qu'il soit le dernier! Mais je m'en moque, aujourd'hui, je l'ai découvert, et je compte bien en profiter.

          Le soir venu, devant mon garage, mes ailes me démangent. Elles aussi veulent voler. En fait, c'est mon corps tout entier qui souhaite reproduire cette délicieuse expérience. Alors, je prends une grande inspiration, et je m'envoler à nouveau. La sensation est toujours aussi incroyable. Les étoiles qui semblent m'effleurer les doigts, le vent qui me propulse encore et toujours, tout. Mais quelque chose manque peut-être. J'ai l'impression que c'est moins... incroyable, irréel. J'ai l'impression de voler un peu moins haut, que mes ailes sont plus lourdes peut-être. Mais ce n'est pas grave, je suis très fatigué en même temps. En me reposant d'un seul coup, la redescente étant toujours aussi difficile, je me fais à nouveau mal aux chevilles, mais ce n'est rien. Je m'en moque, car je m'entraîne à voler. Je n'aurai plus besoin de mes chevilles.

          C'est bien ce qui me semblait. Mes ailes ont grandi. Cela fait une semaine que je vole, chaque soir. Et mes ailes sont devenues plus grandes. J'ai l'impression que les gens les voient. Mes parents me regardent bizarrement, comme si j'étais différent. Mais c'est normal, je suis différent. Je suis libre des chaînes humaines, celles qui nous clouent au sol, le cou tiré maladroitement pour regarder les empereurs du Ciel. Je suis parmi eux désormais. Mais mes vols sont de plus en plus maladroits. Je crois que mes grandes ailes y sont pour quelque chose. En ce moment, je suis de plus en plus fatigué, et j'ai de plus en plus faim. Ça demande de l'énergie de voler, hein. 

          Cela fait un mois que je vole. Maintenant, je n'arrive plus à voler que très peu de temps, et j'ai à peine l'impression de quitter le sol, comme un albatros maladroit, qui n'arrive pas à décoller. Je suis obligé de voler le matin et le midi, pour assouvir ma soif de liberté. Mais ce n'est pas grave, j'utiliserai mes grandes ailes pour planer, quand je partirai. J'ai juste à savoir quand je partirai. Ce qui me dérange plus, c'est le regard de mes parents. Ils me croient malades, il disent que je suis tout pâle. Qu'ils sont bêtes! Je profite de la vie, la vraie! Ils ne comprennent rien. Mais il n'y a pas que eux. La vieille peau que j'ai comme professeur m'a regardé avec un regard plein de pitié, quelle horreur! Quelle indignité! Ah mais qu'est-ce qu'ils ont tous, à me regarder comme un singe?! Bande de macaques! 

"Eh. Je dois te parler mon fils."

Je garde le silence. Je sais ce qu'il veut. Il veut mes ailes. Ma liberté, si courte désormais. Il veut m'enlever le seul bonheur qu'il me reste. Je ne le laisserai pas faire, c'est hors de question. Je suis trop intelligent pour ça.

"Ta mère et moi, on sait tout. écoute, on t'en veut pas, d'accord? Mais tu aurais pu venir nous voir si tu avais des problèmes. Tu t'es réfugié dans ta solitude, dans... ça. Tu as besoin d'aide"

C'est vous tous, bande de fous, qui avez besoin d'aide! Suis-je le seul à voir nos chaînes, nos fers, que l'on traîne derrière nous, poids invisibles qui nous suivent à chaque déplacement? Suis-je le seul à ne pas vouloir juste admirer les oiseaux d'en bas? Suis-je le seul conscient dans ce putain de Monde, bordel?!

"Tu dois arrêter. Je suis passé par là aussi. Il faut que tu arrêtes. Tu ne vois pas le mal que ça te fait."

Attends... Quoi? Qu'est-ce qu'il raconte?

"J'ai fait pareil quand j'étais jeune. J'enviais les oiseaux, alors moi aussi, j'ai vu la drogue comme de magnifiques ailes."

Soudain, je les vois. Des ailes, aussi grandes que les miennes, dans son dos. En pierre, elles semblent figées dans le temps, attendant patiemment leur prochain vol, qui n'arrivera peut-être jamais. Effritées, elles semblent avoir subi les troubles de l'âge. C'est donc cela. Moi, je me croyais conscient. Quel abruti. Je suis le plus con de tous.

"Tu reviens enfin à la réalité?"

"..Oui, je crois. Papa.. J'ai besoin d'aide. Aide-moi. Elles sont si lourdes..."

"Je sais, je sais, je vais t'aider."

Pour la première fois, je m'effondre en larmes dans ses bras.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 24, 2020 ⏰

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