Jour 18

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Kaspar avait réussi à mettre Tre dans une situation encore plus comfortable qu'auparavant : en plus de l'entraîner contre son gré en prison, il l'avait forcé à s'asseoir d'un côté du siège conducteur, de sorte à ce qu'il soit le seul rempart entre Kaspar, qui avait fait une erreur colossale de jugement, et Isolde, dont la meilleure amie était la victime de cette colossale erreur de jugement.

A la grande surprise de Tre, elle n'avait pas explosé hier ; au lieu de cela elle était resté en silence dans la voiture jusqu'à recevoir les nouvelles de bonne santé de Fan, après quoi elle avait dormi, longtemps. Le soir elle avait discuté tranquillement avec Sanj pendant le dîner. Tre s'était demandé une seconde si elle avait enfin décidé d'être un peu plus tempérante, mais avec le peu qu'il connaissait d'Isolde, autant s'attendre à ce qu'elle se fasse pousser des ailes. Puis il s'était rendu compte que non ; tout bêtement, elle attendait que Kaspar vienne de lui-même s'expliquer. Ce qu'il n'avait pas fait.

Maintenant ils avançaient en silence, et Tre sentait la vraie dispute venir à grands pas.

-Donc, Kaspar, lança Isolde.

Celui-ci renifla.

-Oui ? demanda-t-il sans tourner la tête vers elle.

-Pourquoi nous a-t-on attaqué ?

Il ne répondit pas.

-S'il vous plaît, n'insultez pas le peu de respect que j'ai encore pour vous, dit-elle.

-Je n'ai rien à vous dire.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Audra Osemor ?

Elle parvenait à impressionner Tre rien qu'en conservant un ton à peu près égal. La barre était basse.

-Rien ! répondit Kaspar.

Le silence retomba, mais l'atmosphère était toujours orageuse.

Tre n'aimait pas ce genre d'ambiance. Oui, il y avait des disputes chez les Hommes de Minuit, mais à la fin ils étaient frères avant tout, et se connaissaient et s'aimaient assez pour accepter qu'à la fin, chacun avait ses défauts et ses sensibilités. Ils n'existaient pas pour se corriger les uns les autres, mais pour s'aider, et se protéger.

Et Fan était l'amie de Tre aussi. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps, et n'allaient sûrement pas rester en contact longtemps après la fin de ce voyage, mais il n'empêchait qu'elle l'avait aidé sans prêter attention à son statut de criminels, et agissait envers lui comme il l'avait vu agir envers Sanj, ou Siegfried, ou Isolde. Les actions, ou plutôt l'ignorance de Kaspar, les avaient tous mis en danger, et avaient fait du mal à Fan.

-C'est pas Audra Osemor, c'est son frère, dit-il.

Kaspar réagit aussitôt, sur un ton non pas énervé mais suppliant.

-Tre, s'il te plaît.

-Flen ? demanda Isolde.

-Flen Osemor, reprit Tre avant que Kaspar ne l'interrompe plus violemment. Ce que je sais, c'est qu'il y a quelques mois, il a accueilli une délégation marchande de Dor. C'est un grand joueur, pathologique. Il a joué avec eux, et perdu, et perdu, et perdu, jusqu'à leur signer des billets de dettes en son nom de Lord, et pas en son nom de Flen. Ce qui est du détournement de fonds.

-Evidemment.

Tre jeta un bref coup d'oeil à Kaspar pour l'inviter à reprendre le récit à sa place, mais Kaspar ne regardait pas dans sa direction. Son regard allait loin au-devant des oreilles de sa monture, et il clignait à peine des yeux.

-Il y a eu une dispute juridique, car Audra, justement, a réussi à prouver que les doriens avaient triché.

-Mais Flen a tout de même détourné des fonds, répondit Isolde du tac-au-tac. S'il ne l'avait pas fait pour ce jeu, il l'aurait fait pour d'autres.

Depuis le Perce-NeigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant