Grandir

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Taïs serrait fort la main de sacousine. Elle tremblait de tout son être. Devant elle, une maison.La maison de son enfance, celle où elle vivait avec ces parents etgrand parents. Cela faisait plus de 10 ans qu'elle n'y avait pasremis les pieds. Elle était terrifiée. Elle avait dit à sa cousinequ'elle se sentait prête, mais elle ne pourrait jamais être prêtepour ça.


Ses parents avaient déménagé il y a6 ans, pour aller vivre dans le Sud. C'est seulement à ce moment là,elle avait repris contact avec eux. Endurcie par la vie, elle avaitsut s'affirmer tisser quelques lien avec sa mère. Avec son père,rien. C'était un homme dur et froid. Il avait persisté à fairecomme si rien n'avait eu lieu et ne la regardait jamais.

Il y a quelques mois, son grand-pèreétait mort. Elle n'avait pas été à son enterrement, malgré lesnombreuses lettres de sa grand-mère, qu'elle n'avait pas revue nonplus. Celle-ci était partie en maison de retraite, et aujourd'hui lamaison était vide.

Si elle était ici, c'est parce que samère lui avait suggérée de venir. Elle lui avait laissé lesclefs, lui disant que beaucoup de ses affaires étaient restées làbas. Taïs aurait put refuser, ou demander à sa mère d'aller lesprendre pour elle, mais elle n'en avait rien fait. Elle avaitremerciée et avait pris les clefs sans hésiter. C'est ça qui luiavait fait comprendre qu'elle était prête.


Nathalie, sa cousine, semblaitinquiète. Elle lui demanda à plusieurs reprises si elle étaitsûre. À chaque fois, Taïs répondait « certaine »,mais ne faisait toujours pas le moindre pas vers la maison. Elle secontentait de la fixer, en serrant toujours plus fort la main de sacousine, et en essayant de masquer ses tremblements.

Enfin, elle se décida à s'avance.Elle glissa la clef dans la serrure, commença à la tourner, etsoudainement, fut prise d'un violente angoisse. Trébuchant, ellerecula de quelques pas et demanda à Nathalie de l'emmener loind'ici.

Celle-ci lui pris les deux mains, etlui dit, avec un mélange de douceur et de fermeté : « Jesais que tu peux le faire. »

Mais Taïs ne parvenait pas à secalmer. Sa respiration devenait de plus en plus saccadée, elle avaitla sensation de s'étouffer. Elle dut s'asseoir sur les marches del'entrée car elle commençait à vasciller. Sa cousine savait gérerça, elle l'aida à caler sa respiration sur la sienne, puis luidit : « Tu te souviens, quand on était petite et quej'avais le vertige ?

Taïs se tourna vers elle sanscomprendre.

« Tu m'avais dit que je pouvaisle faire. Que si marcher sur ce pont me semblait dur etimpressionnant, une fois que j'arriverais de l'autre côté, jeserais plus grande. Tu m'as répétée, que j'avais peur d'une chutequi ne pouvait pas arriver. Que le vide était immense etimpressionnant, mais que sur ce pont, j'étais en sécurité, et quece vide, il ne pouvait rien me faire.

« Tu es sur un pont, Taïs. Plusrien ne peut t'arriver. Je suis là, tu es en sécurité. Quand tul'auras fait, tu te sentiras grandie.

Taïs s'était calmée. Elle hochatimidement la tête.

« Cela dit, rien ne te force àle faire, ok ? Tu as le droit de ne pas être prête. On peutprendre la voiture, et revenir un autre jour. Ou jamais, ça n'a pasd'importance.

C'est bon. Allons y. »

Elle était déterminée. Maistoujours anxieuse. Une grande inspiration plus tard, elle tournait laclefs dans la serrure et ouvrait la porte d'un seul geste.


Pendant un instant, le couloir del'entrée sembla l'absorber. Oui, c'était bien comme le vertige.Mais elle fit un pas solide, ancrant ces pieds profondément dans lesol. Par ce geste, elle s'affirmait et s'ancrait dans le présent.Elle était plus forte que ça.

Sur un buffet dans l'entrée, unephoto. Entre ses deux grands parents, un petit garçon au regardinquiet. C'était elle. Un spasme de dégoût la traversa en voyantle large sourire de son grand père, et sa main poser sur son épaule.

« Qu'il brûle en enfer,marmonna-t-elle.

Nathalie était allée vers le salon.Elle s'exclama « Oh, ta mère t'as déjà fait des cartons !»Taïs ne l'écoutait plus. Elle était partie, un peu fébrile, endirection de sa chambre d'enfant.

Elle eut l'impression de rentrer dansun mur en pénétrant dans la pièce. Elle était sonnée. Touttournait autour d'elle. Les cartons disparurent, et c'est comme sielle avait de nouveau 6 ans. Elle était allongée sous les draps.Son grand-père venait la border. Elle entendait des bruits qu'ellene comprenait pas, se retournait, et il lui faisait des chosesqu'elle ne comprenait pas.

Tous les soirs. Pendant 4 ans.

Elle sentait encore son odeur. Sondégoût et sa peur était aussi vif qu'à l'époque. Il n'y avaitplus aucune échappatoire. Elle allait sombrer.

Son cri déchira la maison et lessouvenirs. Nathalie accourra, la serra dans ses bras où elle fonditen larmes.

Il n'y a pas de mot pour effacerl'inexcusable. Pour décrire l'indicible. Pas de consolation à desfaits qui avaient déchirés son âme.

Quand les pleurs s'apaisèrent, Taïsremarqua un ours en peluche sur le lit. Pat. Elle se précipita verslui et le pressa contre son visage.

« Oh, mon petit bébé. Je suislà pour te sauver. Tout va bien aller, tu es avec moi maintenant. »

Ce n'était pas tellement à l'oursonqu'elle parlait. C'était à l'enfant qu'elle avait été, qui,pétrifié et impuissant, attendait dans son lit, faisant semblant dedormir dans l'espoir que ça le dissuade. Cet enfant, elle le serraitfort dans ses bras. Elle pouvait le consoler. Lui promettre qu'unjour il deviendrait une femme forte, épanouie, aimée. Ellel'embrassa sur le front, et en posant l'ours dans le carton qu'elleallait emporter, elle sentie qu'elle avait grandit.

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⏰ Last updated: Mar 26, 2020 ⏰

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Confinement 10 - VertigeWhere stories live. Discover now