Rouge

Connaissez-vous cet amour destructeur?
Cet amour qui nous consume et nous tue à petit feu.
Et bien cet amour là, précisément, je l'ai rencontré et il a causé ma perte ainsi que ma mort.

C'était par une belle nuit de printemps, aussi douce que l'envol d'un papillon. J'étais sorti me balader parmi les rêves et le clair de lune. J'admirais ce charmant jardin japonais situé près de la rue Nijiu aux alentours de Yamoho Ya.
J'étais en train de parcourir les splendides hibiscus pourpres lorsque j'arrivais sur un pont de bambou qui menait à une petite passerelle au-dessus d'un étang peuplé de koï. Il parait qu'après 100 ans, un koï sur mille devenait un dragon. J'aimais cette légende, elle me rappelait que l'extraordinaire venait toujours d'un lieu insoupçonné.

A ce moment précis, je m'étais stoppé net. Devant moi se trouvait la plus belle créature que la lune aie pu contempler. Une femme. Une superbe femme parée d'un élégant kimono de soie qui semblait cousu avec du fil de nuage, orné de brins d'or sûrement volés au soleil. Ses manches larges tombaient et laissaient ses bras dénudés offrant à la lune une peau couleur de perle pour se refléter, donnant à sa peau la texture d'une peau de pêche. Ils étaient tendus vers la voute étoilée, offrant la fraîcheur de la nuit à ses épaules découvertes aussi délicates que de la porcelaine. Son obi de couleur cuivre enlaçait sa taille fine, laissant à l'esprit le soin d'imaginer l'élégance et l'harmonie de ses courbes.

J'étais en train de me perdre dans mes songes lorsqu'elle se tourna vers moi.
Je pouvais dès lors observer cet oeuvre qu'était son visage. N'importe quel haïku du plus grand poète ne pouvait exprimer la définition de la beauté que j'avais sous mes yeux. Ses traits étaient aussi fins que ses lèvres étaient aussi rouges qu'une rose écarlate. Sa peau d'albâtre servait presque d'ornement aux joyaux qu'étaient ses yeux. Deux yeux en amande ayant un air malicieux faisant resplendir ses prunelles couleur argent. Pour caresser le tout, une chevelure comparable à une cascade ébène se fondant aux couleurs de la nuit.

J'étais si coi d'avoir cette beauté face à moi que je me suis juré de graver chaque trait dans ma mémoire.

Le temps semblait figé, après une interlude de pensées, je m'étais avancé vers elle et lui adressa la parole :
« Si vous désirez cueillir la lune, souriez. Les astres ne sauront faire face à la plus belle des étoiles. »
Précédé d'un bref sursaut à l'entente de ma voix fort grave je l'admets, celle que je venais d'appeler étoile me fit signe d'approcher. Elle me répondit avec une voix semblable à une douce mélodie venant d'expertes mains de pianiste :
« Les mots sont les passants de l'âme à ce qu'il parait. Les gestes sont-ils alors les passeurs du coeur ? »
« A vous Madame, je livre les deux » répondis-je rapidement.
« A vous Monsieur je donne ma clef. Soyez maître de ma volonté car mon coeur vient de choir. »

Le silence suivait cet interlude, face à face, nous étions plongés dans le regard de l'autre, ne faisant plus qu'un par cette fenêtre de la vie.
« A qui ai-je l'honneur? »
« Kuro Ukiyo, pour avoir le plaisir de vous rencontrer. Quel est le nom de cette resplendissante étoile qui se trouve devant moi? »
« Ai Enma, dame de la nuit. »

Ma réflexion aboutissait à une conclusion de la personne devant moi. A ne plus croire en rien, on oublie de faire attention à qui l'on croise.
Ce souffle qui m'avait balayé le coeur à l'instant où elle m'avait dit son nom me fit comprendre que je n'avais qu'un mirage d'amour devant moi.
Il était trop tard, le monde de la déesse présente n'était que le mirage d'une passion éternelle.

Seul un chemin pouvait m'offrir mon rêve perpétuel. Le chemin de l'acceptation d'être cette statue de glace à la beauté perpétuelle, de l'ombre vivante, de l'âme reposée.
Ainsi mon seul et unique baiser fut pour la dame du ciel. Je pu goûter à l'arôme délicat des lèvres de la reine des astres me donnant accès au dernier voyage.
« Mon amour, les chrysanthèmes ne m'ont paru aussi beaux qu'à cet instant de basculement. »

FIN