Une bouteille

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Maman s'est endormi, ou peut-être qu'elle est morte...

Aujourd'hui ce sera différent, en tout cas je l'espère.
J'ouvre la porte d'entrée et, malheureusement je la retrouve avachie sur le canapé comme à son habitude.

Comme toujours les volets sont fermés et la seule source de lumière dans la pièce provient du poste de télévision. Rien ne va dans le monde, rien ne va dans cet appartement, rien ne va non plus chez la voisine du 3B qui vient de perdre son fils, rien ne va nul part. Mais ça le monde s'en cogne, le monde se fiche de savoir que des gens meurent de faim, il se fiche de savoir que ma mère n'est qu'une alcoolique et il fiche encore plus de savoir qu'hier soir le fils de la voisine est mort sous les coups de son père. Le monde est égoïste.

Il est seize heures mais dans cet appartement c'est comme si le temps n'existait pas.

« - Tu as passé une bonne journée ma chérie?
- J'ai connu mieux, et toi? »

Je rêve de ce genre de banales interactions, qu'elle me demande si j'ai bien mangé à midi ou même qu'elle me dispute parce que je rentre avec trente minutes de retard.
Je demande seulement qu'elle m'adresse la parole pour autre chose que pour de me demander de lui apporter une autre bouteille.

À la place des mots doux et réconfortants que je désire tant j'ai le droit à un regard fuyant, peut-être se sent-elle honteuse? Ou peut-être qu'elle aurait préféré que comme papa je ne revienne jamais? Peut-être que tout serait plus simple si comme lui je l'avais abandonnée?

Papa est parti il y a quelques années, je n'ai pas tout de suite compris, personne ne m'a expliqué. Maman pleurait et moi j'attendais, j'attendais que papa ouvre cette porte, j'attendais qu'il revienne nous prendre dans ses bras, qu'il me murmure à l'oreille que tout redeviendra comme avant, que jamais plus il ne partirait.
Mais ça n'est pas arrivé, et ça n'arrivera jamais, je l'ai compris quand j'ai grandis. J'ai compris que papa n'était rien de plus qu'un égoïste qui ne supportait pas que sa femme ne puisse plus enfanter. En résumé, maman est tombé malade et papa s'en est allé.

Maman s'est endormie ou peut-être qu'elle est morte, je l'ignore. Si tu ne prends pas sa vie aujourd'hui ce sera demain ou après demain.

Depuis que papa a fuit tu te l'es accaparée, tu me l'as volé sous mon nez et jamais je ne pardonnerai.
Ça a commencé par un verre après le dîner puis c'était une bouteille pour l'apéro ensuite elle s'est mise à te vider en pleine journée et c'est là que l'enfer a commencé.

Une gorgée puis une autre, elle se noie pensant se sauver et moi je n'y peux peut rien, condamnée à te regarder la consumer.

Tu l'enivres, m'en prives.
Ça m'attriste, tu jubiles.
Tu aimes ça, mon désespoir te ravi,
il t'enchante et me hante.
Ton sourire me fait fuir.
Pourquoi nous fais-tu souffrir alors que chez d'autres tu provoques des rire.

Un verre puis un autre jusqu'à ce qu'elle finisse par désespérément attraper la bouteille, tu humidifies ses lèvre et là commence sa délivrance, elle te voit comme une échappatoire alors qu'en réalité tu ne fais que l'enfoncer, tu lui offres un semblant de paix pour mieux nous détruire après.

Tu adores ça, glisser le long de sa gorge, lui brûler l'estomac, la ronger de l'intérieur.
La détruire c'est ce qui te plaît et pour une raison que j'ignore elle aime ça tout autant que toi.

Je te maudis, comment est-ce que toi, un simple objet sans âme es-tu capables d'en faire chavirer autant?

Tu n'es pourtant qu'un simple élixir, comment parviens-tu à détruire tant de vie? des familles entières? faire fuir des pères et pleurer des mères?

Tu la délivres, un court instant, avant de la laisser s'endormir ivre.
Et moi? Et moi dans tout ça? Quel est mon rôle? Suis-je supposée te laisser anéantir ma mère sans rien faire? Suis-je supposée te laisser la berner lui faisant miroiter un semblant d'apaisement?
Pourquoi ne veux-tu pas nous abandonner comme ils l'ont tous fait? D'abord papa, puis l'employeur de maman, ses amies, notre assistant social.. tous! Ils ont tous finit par nous laisser seules sauf toi. Tu résistes et persistes, je t'en supplie accorde moi cette faveur, rend la moi.

J'ai tellement prié pour ne plus jamais te revoir, et puis un matin c'est arrivé.
Ce matin là où les pompiers m'ont annoncé que cette fois-ci tu avais gagné.
Ce matin là tu t'en es allé sans oublier d'emporter maman.

Tard le soir tu m'appelles mais je ne réponds pas, je ne veux pas finir comme elle, tu n'auras pas mon âme.

@a1yaAs

Pluie de larmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant