Accrochée à la barrière en métal, je me penchais le plus possible pour apercevoir la ville qui s'agitait en contrebas.
Quelque part dans mon cerveau, je me rappelais ces jours où on allait faire des randonnées et se promener à la campagne. Si j'avais le malheur de me pencher un petit peu trop par-dessus un pont ou une falaise, ma mère se mettait à hurler et me tirait en arrière, me répétant à quel point c'était dangereux et que je risquais de tomber.
Aujourd'hui cependant, ma mère n'était pas là pour me faire reculer.
Elle n'avait pas le vertige pourtant. Aucune raison d'avoir peur. Peut-être que quelque part en elle, son instinct maternel lui avait dit qu'elle devait se méfier des hauteurs. Plus particulièrement que je ne devais pas m'en approcher, car j'allais finir par chuter.
Il y avait bien une lettre dans ma chambre qui allait lui expliquer que j'étais finalement tombé. Posée bien en évidence sur le bureau que j'avais miraculeusement rangé pour l'occasion. Un papier tâché et plié maladroitement en trois, contenant majoritairement des excuses. Elle le trouvera probablement en rentrant du boulot, à dix-neuf heures ce soir. Elle sera contente de voir que j'avais nettoyé la cuisine, et que pour une fois j'avais fait la vaisselle. Peut-être que ça la rendra moins triste pour la suite.
Je pris une grande inspiration. L'air me brûlait les sinus puis les poumons, me faisant tousser. Mes cheveux fouettaient mon visage et griffaient mes pommettes. J'aurais dû les attacher, mais il était un peu trop tard pour ça. Me cramponnant à la barrière, je passais une jambe par-dessus. Puis l'autre. Le bout de mes chaussures se retrouva dans le vide.
Je n'arrivais pas encore à lâcher le dernier rempart me faisant tenir en équilibre. Il fallait d'abord que je contemple ce qui se passait en bas. Il y avait des gens qui s'agitaient, rentrant probablement chez eux après une journée de travail. Quelques voitures dont les klaxons me parvenaient patientaient sur la route. J'hésitais à me sentir égoïste, de forcer tous ces gens à me regarder, mais je refoulais cette culpabilité.
Dans ma vie qui ne faisait aucun bruit, j'avais décidé de partir sur un coup d'éclat.
Je pris à nouveau une profonde respiration en relevant les yeux pour fixer l'horizon. Cette fois-ci, je ne toussais pas. J'étais décidée, et j'avais presque peur de voir à quel point j'étais calme. Toutes les fois où je m'étais imaginée ici, je m'étais imaginée dans une colère noire, désespérée, ou une tristesse inimaginable, me poussant à me précipiter par-dessus la barrière. Mais non, je ne ressentais rien de tout cela. Juste un grand et profond vide. Je n'étais pas triste, ni énervée, ni affligée ou même effrayée.
J'étais vide.
Pourtant, au moment où je m'apprêtais à lâcher la balustrade, j'entendis une voix.
« Ne fais pas ça. »
Lentement, je me retournais. C'était une jeune fille qui, debout sur le toit de l'autre côté du garde-fou, me dévisageai avec une intensité brûlante. Elle était à plusieurs mètres de moi mais malgré tout, j'avais l'impression qu'elle me tenait par le bras pour m'empêcher de sauter.
Toujours sans bouger, toujours en me fixant, elle répéta :
« Ne fais pas ça. Ne saute pas. Crois-moi, j'ai déjà essayé, ça n'en vaut pas la peine. »
Il me fallait juste entrouvrir les doigts, et le vent me pousserait en arrière. C'était trop simple. Il me suffisait d'un simple mouvement. Pourtant, les grands yeux verts de cette fille m'empêchaient de bouger.
Alors, plutôt que de plonger dans le vide, je suis repassé du bon côté de la barrière. La fille me sourit donc pour la première fois.
« C'est bien. Fais-moi confiance, tu aurais regretté de l'avoir fait.
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Emma et Joy
Short StoryEmma a trouvé Joy juste à temps. Joy ne sait pas encore si elle doit en être heureuse. C'est une histoire qui se passe sur un toit, une histoire de tâches de rousseurs, de super-héros et de chute dans le ciel. . . . . (TW : suicide)