XIX - Un nouveau monde

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Après le passage de mon frère et l'explosion qui avait suivi, le quotidien avait repris ses droits. Pas complètement, en fait. Tout me semblait lointain et me parvenait comme étouffé. Les jours passaient, je travaillais, prenais les commandes, souriais à Max qui me regardait étrangement. Je faisais des sourires aux uns et aux autres. Je rentrais à la maison. D'ailleurs quand avais-je commencé à appeler la maison l'appartement de Max ? Ce que j'avais pu voir dans ce rêve éveillé, c'est la fierté de Max qui paradait comme un paon devant le boss et Papy. Le boss semblait me surveiller sans rien dire. Papy était plus tactile posant sa main sur mon épaule ou derrière ma nuque tout en me souriant. Je rentrais, je préparais un petit goûter léger pour Max qui m'avait supplié d'arrêter de faire de si bon en-cas parce que Pepper n'allait plus rentrer dans ses lamés or et argent et que bien entendu, savais-je combien coûtait le lamé or et argent de nos jours. J'avais souri.

La vie quotidienne était revenue en apparence. Tout me semblait pourtant éthéré et les sons ne me parvenaient qu'étouffés. Je vivais dans un mode automatique. Mon esprit s'était recroquevillé loin de tout cela. Le monde avait continué de tourner. Le dessinateur aux cheveux longs de Max était dans mes travées maintenant. Il avait décidé de s'installer près de la table de Papy ce qui était aussi la table près de la porte. Le problème étant qu'il regardait méchamment les groupes de jeunes qui entraient régulièrement depuis plusieurs jours dans le café. Pas bon pour le commerce pensais-je. Néanmoins, je le servais avec la meilleure grâce. Il avait quand même évité une agression sur Papy m'avait raconté Max, une horrible agression qui aurait sans doute laissé Papy grabataire et coûtant une fortune en couche confiance. Cette déclaration avait valu à mon flamboyant roux une petite frappe derrière la tête de la part du boss qui passait par là et un sourire désespéré de Papy.

Nous avions également une nouvelle employée au bar. Elle s'appelait Wanda. Marion pour Papy et le boss. J'avais fait l'erreur une fois, je vous assure que j'avais eu peur qu'elle ne me broie les os un à un. Il fallait avouer qu'elle nous aidait bien à préparer certaines commandes quand nous étions débordés. Elle faisait le même service que nous et avait été conviée à nous rejoindre pour la soirée week-end du café qui s'ouvrait aux noctambules. Je l'avais observée. Grande, athlétique voire féline avec ses cheveux noirs rassemblés en un élégant chignon et un maquillage toujours parfait bien que discret. Elle avait cet air de féminité féroce que je lui aurais bien enviée si je n'avais pas déjà dans ma vie Sainte Pepper. Ses yeux marrons auraient pu percer les portes de Fort Knox. Elle ne devait pas être commode à vivre mais, à ma plus grande surprise, elle était d'une douceur extrême avec les clients. Quand je m'en étais fait la remarque à mi-voix, elle m'avait repris en affirmant que c'était son arme secrète au cas où il faudrait "écraser quelques burnes récalcitrantes". Je m'étais alors fait la remarque de bien planquer les miennes au cas où. Papy et le boss semblaient être heureux de la savoir avec nous.

Max était sans arrêt à batifoler autour de moi, plus libéré et exubérant que jamais, Pepper pointant son nez de temps à autre. Tous les deux semblaient entrer en communion. Et j'aimais encore plus Max parce qu'il était vivant, joyeux, papillonnant à droite et à gauche. Il plaisantait avec les clients et les servait comme s'ils étaient des princes. La plupart étaient absolument ravis et revenaient de plus en plus régulièrement attirant d'autres dans leur sillage. Le café semblait changer. Le boss aussi changeait et se frottait les mains en remerciant "Sainte Pipe du Marais" qui avait enfin écouté ses prières en rendant Max aimable. Papy avait levé les yeux au ciel tout en tapotant sa main et lui répétant qu'il lui avait bien dit. Et la vie continuait. Encore et encore. C'était irréel.

Dans mon brouillard, je me sentais cependant coupé du monde et je ne pouvais plus ignorer les coups d'œil qu'on me jetait quand je partais dans mes rêveries pendant mes pauses ou lorsque les clients se faisaient plus rares. Je nettoyais alors pendant des heures le zinc du bar, le faisant briller comme jamais. Cela me valut quelques mots cinglants de la part de Wanda. Elle avait prétendu que si j'astiquais mes mecs comme ça pendant des heures j'allais faire la joie du marais. Je m'étais étouffé. Max avait frappé du plat de la main le dos de Wanda en éclatant de rire. Alban avait fermé les yeux en prétendant que non, pas trois, pas trois, il allait mourir. Papy avait eu un petit sourire amusé et les yeux brillants. Il avait simplement prononcé quelques mots :

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