Chapitre 1

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J'ai un loup dans mon corps.

Un loup noir, aux poils hérissés, tout maigre.

Constamment aux aguets et toujours hargneux, presque méchant.

Un véritable ouragan de colère, de méfiance et de peine.

C'est mon loup-tempête.

Il a la rage. J'ai la rage.


Je suis assise-là, sur une chaise inconfortable, dans un cercle d'adolescent « comme moi ». Des rebelles, des asociaux, des indigènes. En fait, juste des paumés dans un monde inhospitalier qui ne veut pas de loques pareilles. Des « jeunes à problèmes », comme on nous appelle.

Nous sommes tous réunis ici car on est censés nous aider, nous réformer, nous apposer un tuteur rigide afin que notre âme complètement fracassée se redresse et soit conforme aux normes de la société.

Dis-moi, comment tu redresses des morceaux brisés ?

Il ne faudrait pas déjà prendre le temps de nous recoller ?


Le loup grogne et tourne en rond, retenu prisonnier par ma cage thoracique.


Ce n'est pas la première fois que j'assiste à une des ces réunions, et ça ne sera sûrement pas la dernière. Pourtant, à chaque nouveau rassemblement, c'est comme si on versait du sel sur nos plaies béantes. Le loup se lèche encore et encore, dans l'espoir de désinfecter et de cicatriser, mais sans succès. Et ces fichus rassemblements qui ne font que remuer le couteau dans la plaie.

J'ai compris, ils vont mal, je vais mal, on va tous mal, youpi. Franchement, à quoi ça sert tout ce cirque ?


Le loup en a marre, il ne supporte plus l'inaction et le flot de paroles, il veut sortir. Il s'élance, se jette sans relâche contre mes côtes dans l'espoir de briser sa cage, en vain. Il y a une telle pression au niveau de mon sternum que j'ai l'impression d'être sur le point d'exploser.


C'est au tour d'un jeune homme de s'exprimer désormais, et je l'ai déjà repéré plusieurs fois. Il a toujours les yeux perdus dans le vague, il est toujours distrait par quelque-chose que lui seul peut discerner. Il me fait penser à un papillon en plein vol, butinant de fleurs en fleurs. Sa concentration semble être aussi insouciante et éphémère qu'une de ces charmantes créatures.


A l'intérieur de moi, mon loup-tempête mord sauvagement mes entrailles et secoue sa tête dans l'objectif d'arracher, de déchiqueter cette prison pour enfin sortir et déverser sa haine et sa souffrance sur le monde.


Le jeune homme prend la parole et demande « on peut faire une pause ? » et l'adulte répond « oui ». Je me lève d'un bond et cours presque vers la sortie.

Dehors l'orage se prépare, le tonnerre gronde, il pleut déjà. J'en fais fis et je sors, je m'assieds sur un vieux banc. Des mèches de cheveux fouettent violemment mon visage à cause du vent, et ça fait du bien. La douleur signifie que je suis en vie, que je suis capable de ressentir autre chose que cette rage dévorante et ce vide immense.

Soudain, je ne suis plus seule sur le banc. Le loup découvre ses crocs en guise d'avertissement. C'est le garçon grâce à qui j'ai pu m'enfuir, il regarde le ciel sombre. Je remarque que des gouttes de pluie s'accrochent sur ses cils injustement longs. Ses yeux d'un bleu délavé, un peu vacants, se fichent dans les miens et il me dit :

L'esprit-papillon et le loup-tempêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant