10phorie

un

La goutte glisse le long de ma nuque. pas si froide. Pas si chaude. J'ai les yeux fermés. Ils tressautent un peu sous mes paupières. Où en sommes nous? Rien n'a changé, rien ne change et chaque jour semble être le même à l'intérieur de moi-même. Le petit pessimiste assis sur un coin de mon cerveau me chuchote: rien ne changera jamais. La goutte glisse, elle continue son chemin le long de mon dos. le froid s'empare de moi. Mais je ne veux pas sortir. Je ne peux pas sortir. Combien de temps vais-je rester debout planté là les pieds dans le reste de mousse? Depuis combien de temps suis-je là, planté comme un piquet au dos un peu trop courbé. J'enjambe le bord de la baignoire avec une lenteur incomparable, les yeux toujours clos. La goutte s'écrase sur le tapis de bain, je soupire. Je passe le tissus rêche de ma serviette contre ma peau d'un geste succinct, l'air se chargera du reste. Et je n'ouvre toujours pas les yeux. Comment faire? Un de mes ennemis est là, recouvrant tout le mur face à moi, inévitable. Bien trop fort contre moi, trop puissant, trop terrifiant aujourd'hui. Je mange bientôt, je ne veux pas être pris de nausée, ce serait dommage non? J'enfile mon pyjama. J'aurais préféré qu'il soit mille fois plus large, mille fois plus grand, me noyer dedans et ne plus jamais m'y retrouver. J'ouvre les yeux. Mais ce n'est que le vide que je m'autorise à voir. La surface du miroir est embuée.

-Inaïa!!!!! On mange!!!

Les secondes passent. J'entends mais je n'écoute pas. Latence. Il y a comme une latence et ça me fait ça à chaque fois. Voici un autre ennemi et je peine à me reconnaître. La partie principale de mon cerveau n'a même pas conscience qu'elle est appelée.

-Inaïa!!!

-J'ai entendu.

J'éteins la lumière et laisse dans la pièce toute mes faiblesses qui viennent de s'échapper de mes pores. Retrouvons nous cette nuit. Je m'apprête à performer. Je vais être acteur. Je passe ma vie de maison à performer. Performer un genre que je ne suis pas. Répondre à un nom qui m'est devenu étranger. Entendre des accords qui me font grincer des dents. Je vais dans quelques instants maîtriser à la perfection l'art de la paraphrase et des synonymes. Ne plus utiliser « je suis content » mais « je suis ravi ». Un basique. Je vais porter un masque qui sera comme un prisme. Il y aura plusieurs couches à ma personne. Tout ce que je ressentirais sera envoyé à la couche extérieure est modifié de sorte à coller au genre qui m'a été assigné à la naissance, le seul genre que ma famille a décidé de reconnaître. Pour le moment. J'espère.

Encore un repas de passé et j'ai offert ma plus belle des prestations ce soir. Sourire, rire, synonymes, paraphrases, blagues, tout ça assuré à la perfection. Je m'écrase sur mon matelas.

"Ilaaaaaaaaaan"

Message privé Instagram d'une de mes amies. Ce n'est pas nouveau mais un sourire s'étire sur le coin de mes lèvres et s'étale sur tout mon visage. J'aime l'effet que ça me fait encore et toujours, inlassablement. Mon prénom. Le lire, l'entendre le dire, ça me fera toujours rougir de fierté, de plaisir, de satisfaction. Mon téléphone glisse sur ma poitrine alors que je repense aux rares fois où on me l'a chuchoté à l'oreille. Je suis persuadé que mes yeux pouvaient briller même dans la plus sombre des noirceurs. Je me demande si le jour où ce prénom sera officiel je ressentirais toujours ce pincement aux tripes qui me rend si bien. Mais tout ça me parait bien trop loin de moi, ce futur est bien trop lointain pour qu'il m'apparaisse net, je ne vois que du flou, tout est brouillon quand j'ose y penser. Ce que je me refuse le plus souvent même si je sais qu'au fond c'est ce qui me permet de mieux tenir.
J'ouvre twitter. Je fais défiler ma time line. Et les heures défilent d'elles-mêmes. Je sombre. Un amas de membres sous une couverture chaude. À demain.