Lettre d'un confiné à un petit machin

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                                                                                                            A tous les passionnés de la lecture.


Cher inconnu !

Je voulais t'écrire avant que le soleil ne ferme son œil plongeant mon pays dans le noir. J'ai longtemps hésité, avant de tremper ma plume pour t'adresser mon cri de déboire. En effet, les picotements que tu creuses chaque jour dans mon cœur déjà en lambeau, juste parce que je suis un Homme, ne vont sans nul doute pas te pousser à reconsidérer la gravité de séparer l'âme de son corps, de briser un foyer, de rompre les liens qui ligaturent deux êtres comme le disait Mariama Ba. Je voulais juste t'écrire pour te témoigner si je peux me le permettre que ton cynisme invétéré, pour autant qu'il a basculé des projets d'avenir, des rêves, il m'a permis de savoir la force et la dévotion de mes semblables.
Je voulais te raconter une histoire :
Hier, je suis sorti pour aller au centre-ville. Personne n'osait prononcer ton nom dans le bus. Comme je ne comprenais pas, j'ai pris place. L'atmosphère qui y régnait ne donnait aucune envie d'ouvrir la bouche encore moins se rapprocher les uns les autres. Pour la première fois, j'ai senti ton ombre invisible dans ce climat de panique silencieuse qui imposait ses lois.
Aussitôt, cette atmosphère glaciale creva quelque chose en moi. Je me suis mis à écouter. Mais le journaliste qui donnait les informations avait une voix tellement cassée voire écrasée par la stupeur de ton emprise qui pesait son timbre. Il parlait de toi. Il parlait de chiffres. Il disait que l'homme pleurait à chaude larme pour avoir perdu ses amis, sa femme, ses frères, sa sœur, ses collègues de travail, ses compatriotes et beaucoup ses connaissances proches ou lointaines en moins de vingt-quatre heures.
Finalement, le conducteur finissait par éteindre la radio. Les passagers à bord avaient les yeux hagards. La distance creusait son sillage. Personne ne parlait parce tu étais là à les empêcher de piper mot ou de se frotter. C'est lors de ces moments de deuil sans funérailles que j'ai compris que tu as bouleversé l'humanité depuis longtemps.


Ismaila Niang, plume perdue et confinée

NouvelleWhere stories live. Discover now