Chapitre 45 - Un moment particulier

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D'autres braseros avaient été apportés depuis le château. Maintenant, les flammes par dizaines dansaient dans l'air frais de la nuit. Les ombres des soldats passaient devant, discutant, riant. Une toute autre ambiance qu'en fin d'après-midi.

Après une réunion des Stratèges de Vendomeland, nous avions appris que l'île d'Utopie avait dû emprunter un courant aérien plusieurs mois auparavant. Ainsi, elle avait pu suffisamment s'approcher pour tenter une attaque, mais ce, heureusement, seulement pour quelques heures. Après cette conclusion, et comme prévu, l'état d'alerte avait été levé aussi vite qu'il avait été enclenché. Nos îles étaient redevenues hors d'atteinte l'une de l'autre. Aucune raison, donc, de désobéir au Général, qui voulait que nous participions à ce banquet récréatif.

Pour Vendomeland, où chaque ressource comptait, on pouvait dire que la nourriture était abondante. Des paniers de fruits, de graines, de céréales... tout nous était offert sur des pans de tissus brodés, étalés sur l'esplanade. Mais le meilleur, c'était les serviteurs. La Garde Royale elle-même mettait la main à la patte. Les Archers, surtout, semblaient au comble du bonheur, et ne se gênaient pas pour en redemander. Mais, personnellement, une simple pomme avait réussi à me caler. Contrairement à tout ce beau monde, je n'avais pas faim.

Les mots du Général m'avait galvanisée, comme les autres. J'y pensais encore. Cependant, selon moi, il n'avait pas bien rappelé quelque chose. Que sans l'intervention in extremis de l'Angevert, nous aurions été bien moins heureux, à l'heure qu'il est.

Des torches illuminaient la façade avant du château. On aurait dit un géant dont on ne voyait que le visage. La chambre aux lueurs vertes n'était pas visible de ce côté-ci. Mais peut-être son occupatrice était-elle en train de nous observer ? Depuis cette tour, par exemple, d'où elle avait lancé l'éclair de la victoire...

Une silhouette sombre s'approcha de moi. Un soldat, la vingtaine, presque enrubanné de la tête aux pieds. Je faillis ne pas le reconnaître.

— Vous auriez dû garder votre bandage, caporal.

Trimidis sourit.

— Que pensez-vous, je viens le récupérer.

Il s'assit à côté de moi, dans l'herbe. Distraitement, je lui tendis la bande de tissu, en jetant un œil à Galliem, appuyé sur sa nouvelle canne. Depuis un moment, il parlait à un groupe d'Archers, à forte majorité féminine.

— Je n'en reviens pas que vous n'ayez rien, rit le caporal à moitié.

— En regardant mieux, vous auriez vu une cicatrice sur mes doigts.

— Vraiment ?

Un frisson inattendu me secoua de la tête aux pieds. Je sentais Trimidis chercher la blessure sur ma main, du bout des doigts, presque... avec délicatesse.

Ce n'était pas le bon côté.

Sans réfléchir, je levai brusquement l'autre main dans la lumière, pour lui montrer les coupures blanchies le long de mes phalanges. Le caporal sembla rester circonspect ; peut-être parce qu'elles n'avaient pas l'air très fraîches, pour des blessures de la journée.

Comme quoi, se prendre un éclair, ça pouvait avoir du bon.

— ... On ne vous a pas ménagée, Walkaerys.

— Qui ont-ils essayé d'épargner ?

Je croisai les mains sur mes jambes. Galliem riait bien trop fort pour être naturel. Il était aussi de plus en plus tactile. Le caporal s'appuya derrière lui.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant