Sur la tige d'un jonc, au bord de l'étang, semblait apparaître des ailes. Fort heureusement, personne n'était là pour le remarquer ; pas un brin de vent, pas un prédateur. Sous un doux soleil de printemps, et dans un profond silence, un éphémère venait de naître.
Et alors qu'il voyait les joncs pour la première fois, le minuteur dans son cœur se révélait. Bien que ses belles ailes translucides venaient à peine de se réveiller, alors qu'il n'avait encore jamais volé, il savait déjà que son temps lui était compté.
Il ne prit pas le temps, contrairement aux beaux papillons, de lisser ces belles ailes translucides. Profitant d'un léger coup d'air, il se détacha aussitôt de sa branche et s'envola vivement. Je dois vivre, se disait-il. Il savait déjà qu'il ne se poserait plus jamais.
Il traversa l'étang en toute hâte. Le vent s'engouffrant dans ses ailes faisait vibrer son corps comme un moteur. La vision rapide de l'herbe et l'eau sous lui, lui donnait presque le vertige. Ses premières sensations de vies étaient si fortes et si enivrantes. Il s'approcha de l'étang, frôlant l'eau du bout des pattes pendant quelques secondes. Il lui sembla que toute sa vie pouvait être résumée en ces quelques sensations, et eu comme une impression de vide. Il se redressa et quitta à jamais cet étang où il avait vu le jour.
Les mouvements du soleil lui paraissaient si rapide. Le décompte avant la fin du jour lui était comme une course et une torture. Volant tout droit, à la recherche d'un de ses congénères, une sorte de sentiment poisseux lui collait les antennes. Si jamais je ne trouve pas de compagnon avant la fin du jour, ma vie aura été inutile, pensait-il.
L'éphémère était comme un jouet mécanique. Il ne pouvait s'arrêter de bouger tant que le compte a rebours n'était pas à zéro. Il sentait l'inclinaison des rayons de soleil sur son corps, et alors il avait peur. La fin du jour serait la fin de sa vie, et encore aucun autre éphémère en vue.
Alors qu'il continuait son vol, ses yeux mouvants dans tous les sens à la recherche d'un morceau de vie, il constata que ce qui l'entourait devenait différent. L'herbe n'était plus aussi longue et verte et paraissait comme coupée, écrasée. Des cailloux tout autour l'entourait, et toutes ces pierres semblaient sagement empilée les une à coté des autres, comme si elles en avaient eu elles-même l'idée. Et surtout, face à ça se trouvait littéralement un ciel gris immense et sans fin.
Un éphémère ne peut se poser, ni plier ses ailes. Si il n'était pas vif, il aurait percuté ce ciel étrange et sa vie aurait été plus courte qu'elle ne l'était déjà. Il ralenti et se retrouva perdu. Suis-je devant la limite du monde ? Où puis-je aller, maintenant ?
Peut-être suis-je le dernier de mon espèce ici, se découragea t-il. Et dans ce cas ma vie n'aura vraiment eu aucun intérêt. Pris de désespoir, le petit éphémère prit de la hauteur sur cet immense ciel de pierre, espérant peut-être pouvoir passer au dessus, quand quelque chose d'étrange lui captura son attention.
Une sphère immense, comme le soleil, mais translucide, comme ses ailes. D'une rondeur parfaite, avec des couleurs étranges qui reluisaient sur tout le tour de la fine membrane. Elle flottait dans les airs lentement, profitant de son voyage avec beaucoup de calme, comme si elle pouvait à tout moment s'immobiliser dans l'air. Captivé, l'éphémère en fit rapidement plusieurs fois le tour, sans comprendre ce qu'était cette étrange sphère. Après un moment d'hésitation, il lui demanda :
« Tu es un soleil ?
– Pas du tout, lui répondit l'astre. Je suis une bulle.
– Que fais-tu ici ? Demanda encore l'éphémère.
– Je voyage.
– Je peux te toucher ?
– Surtout pas ! S'exclama la bulle, comme avec un mouvement de recul. J'en mourrais. »
L'éphémère, qui ne souhaitait en rien sa mort, recula un peu.
« Est-ce que je peux te suivre, alors ?
– Bien sûr. C'est triste, de voyager seul. »
L'éphémère, qui s'était jusque là tant dépêché à la rencontre pour ne pas perdre une seconde de vie, suivi la bulle au rythme tranquille. Il observa alors mieux ce qu'il y avait autour de lui, et découvrit des papillons dans les fleurs, des fourmis qui s'agitaient dans le sol. La vie qu'il s'était dépêché à découvrir était devant ses yeux.
« Au départ, j'avais beaucoup de sœurs, lui expliqua la bulle. Nous étions très proches, de tailles et de couleur différentes. Mais beaucoup ont disparues dans notre voyage dans les airs.
– Comment ça se fait ?
– Je ne sais pas... Nous sommes peut être juste destiné à n'être que de passage. »
Son compagnon resta silencieux, comme en train de réfléchir.
« Tu n'as pas peur ? Lui demanda-t-il enfin.
– De quoi donc ?
– De disparaître. Comme tes sœurs.
– Au début, un peu. Mais maintenant, non.
– Pourquoi ?
– Parce que tu es là. Qu'on discute, qu'on voyage ensemble, et que tu m'écoutes. Même si ça n'a pas beaucoup de sens... Je me dis que j'aurai été mémorable pour au moins une personne. »
Le pauvre éphémère resta silencieux. Le soleil était sur sa pente descendante, et sa vie sembler comme lui filer entre les ailes. Il avoua :
« Tu sais... Moi aussi, je ne vais peut-être pas tarder à disparaître.
– C'est vrai ? Pourquoi ?
– Je ne sais pas... Je ne suis né qu'il y a quelques instants et pourtant au fond de moi, je sais que le coucher du soleil sera la dernière chose que je verrai. En fait... au départ, je devais trouver un autre éphémère, pour donner naissance à des œufs d'éphémère, et ainsi donner du sens à ma journée d'existence. Mais je n'ai pas réussi cette mission. J'ai volé aussi vite que j'ai pu, tout droit, cherchant des traces, d'autres vivants, mais je n'ai trouvé qu'un mur. J'ai échoué. »
Un silence se fit. Les reflets bleus translucide de la bulle semblait luire d'une profonde mélancolie.
« Allons... ne nous attristons pas pour les derniers instants de notre existence. Même si nous ne sommes pas utiles... Soyons heureux. Nous pouvons peut-être au moins réussir cela. »
La bulle et l'éphémère s'envolèrent alors vers le soleil, en douceur et sans un bruit. Sans même déranger le vent, ils continuèrent leur route, inlassablement. Le coucher de soleil qu'ils virent furent pour eux la plus belle chose de leur vie. Aux couleurs si vives et pourtant si tristes, la lumière s'éteignant sur le monde des deux voyageurs les réchauffaient, quand la mécanique du petit éphémère s'épuisa alors. Ne parvenant plus à tenir en l'air, il tomba tristement vers le sol, laissant son amie seule pour les derniers instants. Celle-ci, qui lui semblait luisante comme le soleil, continua de voler dans le ciel ; elle prit une teinte dorée, et éclata comme une goutte d'eau sur le sol.
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La bulle et l'éphémère
Short StoryLa vie d'une journée d'un éphémère qui va rencontrer une bulle sur son chemin.