Chapitre 10

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Il y a deux ans

Assise à la table de la cuisine, je fixe mon père qui change un cadre au mur. Apparemment, Delilah aime refaire la déco régulièrement et mon arrivée l'a inspirée. Si elle pense qu'accrocher un tableau de la tour Eiffel va m'aider à me sentir chez moi, je pense qu'elle se met le doigt dans l'œil. Mais au moins, ça part d'une bonne intention. C'est vrai que ça doit pas être simple pour elle aussi de voir sa vie chamboulée avec l'arrivée d'une ado déprimée.

— Sweatheart ? Passe-moi le tournevis, s'il te plaît.

Je souris et m'empresse d'obtempérer. La moindre interaction avec mon père me rend si heureuse. Après tant de temps, nous voilà enfin réunis. Nous avons tant de choses à rattraper. Quand je pense que je l'ai cru mort pendant dix ans et que maintenant il est là, devant moi.

J'ouvre la bouche pour lui dire à quel point il m'a manqué quand je suis interrompu par une sonnerie. Je grimace.

— Papa, tu as un appel Skype sur ton ordi.

Il soupire puis repose le cadre avant de se diriger vers la table où l'appareil est posé.

— Si c'est encore le bureau, je te jure que je fais un esclandre ! Je leur ai dit de ne pas me déranger, que je passe du temps avec ma fille.

Je souris. Sa fille. Je suis la fille de quelqu'un. Des mots que j'ai peu entendus. Mais ils signifient bien plus, ils signifient que je ne suis pas orpheline. J'ai un père.

Mais brusquement, ma bulle de bonheur explose.

— Pourquoi ta mère m'appelle ? Tu ne m'avais pas dit que tu ne voulais plus lui parler ?

J'écarquille les yeux et me précipite devant l'écran qui affiche le nom en majuscule de ma génitrice. J'inspire profondément. Je suis partie il y a cinq jours et je n'ai pas eu de nouvelles depuis. Il faut dire que je lui ai laissé un mot assez... froid. Je lui ai dit que je ne voulais plus jamais la voir. Pas après toute la souffrance qu'elle m'a causée. Me vendre à mon petit ami puis me cacher que mon père est en vie ? Trop pour moi.

Et pourtant, je n'ai pas le choix. Je ne peux pas la renier complètement. Tremblante, je m'installe devant l'écran, mon père debout derrière moi. Doucement, il me presse l'épaule et je relève la tête pour le voir me sourire.

— Je suis avec toi. Ça va aller.

J'inspire une nouvelle fois, puis, réunissant tous mon courage, je décroche. L'image met du temps à se stabiliser avant de faire apparaître Rose Legrand. Elle n'a pas changé et c'est effrayant. Sa fille a fugué à l'autre bout du monde et elle respire la perfection, la sérénité. Ça me déchire le cœur. Parce que malgré tout ce qu'elle a pu me faire, ça reste ma mère. Et que même si je me suis persuadée que je la haïssais de tout mon être, tout ce que j'ai toujours voulu, c'est qu'elle m'aime et fasse attention à moi.

— Isabelle...

Est-ce moi ou sa voix s'est cassée ? Impossible. Ça doit être la connexion internet qui est mauvaise.

— Rose, répliqué-je poliment.

Je vois son regard s'assombrir et elle baisse les yeux.

— C'est mérité.

— Largement ! m'énervé-je.

Son moment de faiblesse disparaît rapidement et elle se redresse, le menton haut et le regard déterminé. Elle pince les lèvres, un sale tic qu'elle m'a légué. Une manie que je fais encore quand une situation échappe à mon contrôle et que ça m'agace.

Et puis au pire... Je t'aime [T2 TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant