Il était huit heure et le soleil se levait sur les pics enneigés des Pyrénées. Vincent, emmitouflé sous plusieurs couches de vêtements, luttait contre le froid glacial de ce début de février et observait la chaîne montagneuse illuminée par l'aurore. Le ciel parsemé de quelques nuages prenait des couleurs variant du rose pâle à l'orange doré. Vincent avait déjà vu ce sublime spectacle des dizaines de fois et ne s'en lassait jamais. Mais ce n'était pas la raison de sa présence dès potron-minet. Il était venu installer un affût photographique dans un endroit assez isolé et escarpé qui permettait une vue d'ensemble sur le cirque de Gavarnie. Vincent était photographe professionnel depuis quelques années et après avoir réalisé de nombreux clichés de paysages, il s'était fortement intéressé aux espèces menacées où en voie de disparition. Et l'une d'entre elle avait retenue son attention : le capra pyrenaica pyrenaica, une sous espèce du bouquetin d'Espagne. Plus imposante que nos chèvre domestiques, cette espèce caprine étaient essentiellement connue pour sa stature imposante et sa rusticité. Leurs robes prenaient des nuances de marron et de beige, soulignées de tâches sombres au niveau du ventre et des pattes pour les mâles. Les étagnes possédaient de petites cornes pouvant aller jusqu'à vingt-cinq centimètres. Les bouquetins, quant à eux, possédaient de longues cornes en forme de lyres qui dévoilaient leur caractère noble et altier. Quand on les voyaient au loin, se détachant des parois rocheuses en majesté, se dégageaient une impression d'incommensurable puissance. Enfin, c'était la description que Vincent pouvait en faire à partir de la seule représentation qu'il possédait : une illustration de la fin du XIXème siècle. Après des heures de recherche, il n'était parvenu qu'à recueillir que trop peu informations. Les naturalistes locaux n'avaient réussi à réaliser aucun comptage de la population de bouquetin tant leurs présences se faisait rare. Des groupes de caprins semblaient encore survivre du côté espagnol mais l'existence de tels groupes du côté français relevait presque de la légende même si la présence de cet animal semblait avoir été relevé par deux bergers l'été précédent après plusieurs années sans aucune observation valable.
En regardant les falaises enneigées face à lui, maintenant complètement éclairées par les premiers rayons du soleil, Vincent repensait aux raisons qui l'avaient amenées jusqu'ici. Il y a trois ans de cela, à l'aube de ces 30 ans, il avait décidé de changer de vie. Son travail de photographe dans la communication, où l'essentiel de ses missions consistait à rendre désirables des aliments transformés qui n'avaient rien d'authentique, ne lui convenait plus. L'artifice, le superflu et le faux-semblant, toutes ces valeurs négatives qui s'insinuaient dans tout les recoins de la société, cette négation de la vie originelle, s'en était trop. Il ne supportait plus l'angoisse, le découragement, la faiblesse et la lassitude qui en découlait. Ce constat l'amena à s'orienter vers la photographie naturaliste. Vincent désirait montrer les soubresauts inhérents à la nature, les chemins et les formes que prenaient la vie pour perdurer.
C'est comme ça, qu'il s'était lancé le défi de photographier une famille de capra pyrenaica pyrenaica dans ce massif. Cette espèce qui était presque devenue un mythe dans cette région. Et le peu d'informations dont il disposait et la faible chance d'observer l'animal dans ce massif ne le rassuraient pas. Mais la persévérance et la ténacité semblait être le propre de la vie et il se jura qu'il serait prêt au moment où celle-ci referrait surface, prêt à réaliser ce cliché pour l'espoir.
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Un cliché pour l'espoir
Short StoryVincent, la trentaine, a plaqué son travail de photographe dans la communication. Le faux-semblant et le superflu ne lui convenait plus. Il se retrouve quelques années plus tard dans le froid, au sommet des Pyrénées pour photographier une espèce ani...