Chapitre 22 : Nuit sans étoiles dans un diner miteux

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Le lendemain soir, dans un café de station service, aux abords de l'aéroport de Portland

Olivia me fait face, assise contre le dossier en bois flétri du café diner modeste où nous nous trouvons. Elle a enfilé une casquette élimée qu'elle a du emprunter à quelqu'un, dont le devant est écrit en bas relief "Made in Willamette River" et porte une tenue tout à fait aux antipodes de ce qu'elle porte à New York, tellement plus décontractée. Mais tant qu'elle n'ouvre pas la bouche, on pourrait croire qu'elle est une vraie fille de l'Oregon. L'accent British trahit l'effet malheureusement.

Nous avons chacune un plat devant le nez que nous grignotons au compte goutte. Mise à part quelques arrêts du serveur qui vient nous resservir en boisson, personne ne vient nous emmerder, personne ne fait attention à nous. Je crois que cette sensation d'anonymat plaît à Olivia qui profite pleinement de l'expérience. La seule chose qui me rappelle en permanence quelle personne me fait face est la présence d'un garde du corps dans le fond de la salle qui nous surveille et d'Antoine, le chauffeur français qui déguste un burger.

" Ça m'avait manquée d'être tranquillement installée, sans que personne ne vienne me voir pour... Elle souffle... Pour juste me rappeler à quel point je dépends de mon compagnon.

- Je n'en doute pas une seconde, je détesterais être dans ta situation. Crois-moi bien que je me tirerais une balle à ta place. Fais-je en plaisantant."

Avec un rire léger, elle sourit de toutes ses dents, lâchant la pression.

" En effet, en effet, mais les armes à feux ne me bottent pas, toutes ses histoires de famille m'ont rappelés à quelque point ça pouvait être dangereux. Répond-elle en rattrapant une frite entre ses doigts. En un peu plus de six mois, une vie peut basculer du tout au tout n'est-ce pas ?"

Les cheveux ramenés en petite queue de cheval, on dirait qu'elle sort tout droit de l'université. Je sens qu'un petit écart d'âge nous sépare quand même à ce moment précis. Lorsque je l'ai rencontré, j'aurais pu lui donner un âge bien plus mûr, apprêtée comme elle l'était. C'est là que je me rends compte que même si elle se donne réellement corps et âme pour Caleb, elle n'en reste pas moins une femme qui aurait payé cher pour ne pas subir tout ceci.

" C'est vraiment très courageux de ne pas t'être défilée quand la situation est devenue incontrôlable. Je ne sais pas si j'aurais été capable de faire la même chose dans une situation identique.

- Je me suis faite avoir par ses beaux yeux mais aussi parce qu'à la base, je n'avais pas vraiment le choix. Caleb a voulu jouer au dur comme son père lui a enseigné, jusqu'à devenir un enfoiré et ça au début de notre relation mais au final, je crois qu'il est bien moins agressif et donneur d'ordres maintenant qu'auparavant. Elle mange un autre morceau puis poursuit: De toute façon, s'il voulait que je reste, il fallait bien qu'il change d'attitude.

- À quel moment tu as su que tu ressentais quelque chose pour lui ?"

Olivia Lawford devient pensive et s'installe plus confortablement dans le fond de sa banquette. Elle regarde par la fenêtre, les yeux dans le vague.

" C'est un peu compliqué, tout est arrivé très vite mais je pense qu'il y a eu ce moment précis, qui a commencé à transformer la mise. C'était après la soirée de Noël, nous nous sommes violemment disputés et je suis partie sans demander mon reste, vraiment blessée. Alors je suis rentrée chez moi, en larmes. Ce n'était pas l'un de mes moments les plus glorieux mais en pleine nuit, le 25 décembre, Caleb est venu, me présenter ses excuses. Je me souviens qu'il est arrivé avec des flocons un peu partout sur lui, on aurait dit un des elfes du père Noël finalement ! Il a fait l'effort de venir en métro jusqu'à chez moi, même si ça devait mettre des heures juste parce qu'il se sentait coupable. Et je peux te dire que lui, prendre le métro, c'est une épreuve, et pendant la nuit c'est pire encore ! Nous ricanons en cœur. C'est là que je me suis rendue compte que peut-être j'étais plus que juste un mensonge pour pourrir son ex. Que je ressentais quelque chose qui pourrait me retenir de fuir. Après ça, il y a eut des moments magnifiques et d'autres franchement horribles mais si je suis encore là, c'est que je suis la plus grande idiote de la Terre et ça me plaît bien.

Café Noir et Sucrette [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant