Chapitre 11.1, Le coeur des Vatners

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HVITUR



Les flots furieux roulaient sous le navire. La coque se soulevait lentement dans des grincements de bois tandis que les vagues le portaient, en parfait accord avec le vent, vers le nord. Les mers s'étaient apaisées avec les jours et le soleil avait refait surface au-dessus d'elles. Nox s'était évincée pour laisser Lux baigner de lumière le chemin de ses fidèles. Sur le pont du navire, Hvitur se tenait droit. Son regard était porté sur l'horizon, fouillant les eaux à la recherche de la terre qu'ils devraient bientôt atteindre. Au fond de ses yeux, loin de la détermination qu'il se forçait à afficher, la peur se cachait.

Rusé comme un renard, voilà ce qu'il était. Voilà ce qu'il avait toujours été. Mais on demandait de lui de la force, de la puissance, qu'il émane de sa personne une terreur si forte que les plus grands guerriers de Nokrov fuient face à lui, que les femmes hurlent dans leurs masures et que les enfants pleurent à la mort.
Hvitur n'avait jamais été un vatner comme les autres. Lui était curieux, fasciné par le monde, et peu lui importait la richesse, peu lui importait la peur qu'il inspirait. Il ferma les yeux, soupira longuement, puis se détourna du pavois auquel ses mains s'étaient accrochées.

Descendant sur le pont inférieur, il observa les mercenaires qu'il avait recruté avec l'aide et l'or de Tahir. Les hommes des Ramales étaient trop reconnaissables, il n'avait pu en emmener qu'une poignée avec lui, complétant l'équipage à l'aide d'une petite troupe de natifs du reste du monde qui ne lui avaient pas coûté trop cher. Des hommes brases, se présentaient-ils eux-même, que la mort elle-même craignait. Le vatner avait souri, moqueur, mais les avait pris malgré leur ridicule orgueil. Il n'aurait su trouver mieux aux abords d'Aurovao, et le temps filait à toute vitesse.
Hvitur beugla quelques ordres, prenant sa voix la plus forte et la plus autoritaire et faisant ainsi frémir ces braves qui ne l'étaient pas tant que ça. Affichant un sourire moqueur, il rejoignit la plus grande cabine du vaisseau, où il avait installé la Reine. Il frappa à la porte avant d'entrer.

Elle se regardait dans un miroir fendu, son visage affichant tout le dégoût du monde. Hvitur ricana en voyant sa face décomposée. Elle ne se reconnaissait même plus, grimée en femme des îles. Le renard lui avait rasé l'arrière du crâne et avait tressé ce qui restait de ses cheveux. Il avait plongé sa chevelure dans la mer et l'avait ébouriffée, il avait sali son visage de terre et d'eau salée, l'avait parfumée de nature en la privant des bains auxquels elle était tant attachée, l'avait vêtue de vêtements de cuir puis l'avait munie d'une hache qu'elle soulevait avec trop de difficulté.
Mais dans son regard, la Reine subsistait. L'orgueil et la royauté suintaient, à travers ses gestes qui restaient trop gracieux, ses mots qui ne se départaient pas de la noblesse qui était sienne, ses yeux qui brillaient de fierté.

— Cela ne fonctionnera jamais, pesta-t-elle après quelques secondes.
— Ça march'ra pas, grogna Hvitur.

Elle le regarda, les sourcils froncés, tentant de comprendre la raison de ces mots. Il sourit, badin, avant de hausser les épaules.

— C'est comme ça qu'on parle, sur les îles.

Karona soupira, levant les yeux au ciel et s'asseyant sur le lit qui se trouvait dans la cabine. Hvitur hésita un instant, avant de la rejoindre. Il s'assit à ses côtés.

— Ça fonctionnera si vous y croyez. Et si vous évitez d'parler, aussi. Et arrêtez de regarder les autres comme si vous alliez les faire pendre.
— Ils me dégoûtent, siffla la Reine.
— Z'êtes plus dans vot' palais. Maintenant, vous êtes une vatner m'dame !

La Reine afficha une expression écœurée puis soupira. Elle n'avait pas envie d'être ici, sur ce navire, mais elle n'avait pas le choix. Hvitur tenterait de la protéger, coûte que coûte, pour le maintien de l'équilibre qu'avait instauré le règne commun de Lux et Nox. Alors elle devait coopérer.

— Restez juste près de moi quand j'irai voir le Grand Herrevann, et tout devrait bien se passer. Ne parlez pas, ne le regardez pas. C'est compris ?

Elle hocha la tête pour toute réponse. Hvitur soupira, se levant pour regarder par la fenêtre de la cabine. Dehors, le soleil semblait s'affaiblir et le temps se faisait grisâtre. Il pouvait déjà entendre les claquements secs du vent contre les voiles du navire. S'ils devaient subir les caprices de la mer de Sjorod, ils pouvaient s'avérer heureux d'être si proches de la fin du voyage.

— Terre !, entendit-il alors.

Un sourire incertain tirailla ses lèvres, un étrange sentiment le parcourant alors qu'un frisson lui traversait l'échine. Il avait la sensation de rentrer chez lui, sans y être réellement le bienvenu. Pourtant, il leva la tête et passa une main dans sa barbe, tentant de se donner une contenance. Puis, sans un regard pour la Reine, il quitta la cabine pour retourner au pont supérieur.
Au loin, il pouvait deviner les contours de sa terre, les bâtisses de Uibhsterk. Le vent venait gifler son visage, faisant claquer sa longue tresse contre sa joue, comme un rappel des dieux à leur existence. Il sourit en coin.

— Uibh, j'ai une revanche à prendre.

Alors qu'il s'avançait auprès de ses hommes, les remous de l'eau s'agitant un peu plus firent tanguer le navire. Il aperçut alors une maigre silhouette courir vers le garde-fou, s'y accrocher, avant de vomir par-dessus bord. Il la reconnut aussitôt et, fronçant les sourcils, se précipita à son côté. Il saisit le gamin par l'épaule, le forçant à le regarder.

— Afi, je rêve !, gronda-t-il.

Le garçon leva le menton avec fierté, affrontant sans crainte aucune le regard de celui qu'il avait choisi comme mentor. Le fils des sables était parvenu à s'infiltrer sur le navire et l'avait suivi jusqu'ici. La colère, mêlée à une inquiétude sans nom, rugissait dans le regard de Hvitur.

— Je t'avais dit que c'était dangereux !, cracha le vatner.
— C'est trop tard maintenant. Je veux v'nir ! Je veux voir Uibh !

L'îlien serra les dents, l'empoignant avec plus de fermeté et le soulevant d'une main pour l'entraîner plus loin. Il l'amena à la cabine, où il le jeta presque à terre avant de pointer vers lui un doigt accusateur.

— Ce que tu as fait était stupide et dangereux ! Tu resteras sagement sur le navire pendant qu'on ira voir le Grand Herrevann.
— Et si ça s'passe mal, je vais devenir quoi ?, siffla le gamin.

Hvitur ne fit plus un geste. Il déglutit. Afi avait raison. Et il ne voulait pas risquer la vie du petit – celui-ci était mieux près de lui. Pestant, le vatner attendit qu'il se relève pour le saisir par les cheveux et approcher son visage du sien.

— Tu vas rester près de Karona et tu vas la fermer, d'accord ?
— Mais...
— Tu vas venir, mais tu la fermes, compris ?

Afi hocha la tête. Le relâchant, Hvitur remarqua la hache à sa ceinture - un sourire titilla la commissure de ses lèvres, mourut aussi vite. Il se releva et croisa le regard inquiet de la Reine. Il tenta de la rassurer d'un hochement de tête entendu avant de se détourner d'eux, quittant la cabine d'un pas vif.

— Un gamin à bord... 'manquait plus qu'ça, grommela-t-il.

* * *

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant