Ajax est rentré chez lui, trépignant d'impatience. Je trouve ça assez étrange étant donné son amour pour son territoire, et son côté territorial. Mais je me dis qu'il doit se sentir très seul. Il a perdu tellement de gens dans sa vie. J'ai une vision de lui, rentrant seul dans une maison noire et vide, avec pour seul accueil l'écho de ses pas. L'oreille écorchée, les doigts cassés et le cœur brisé. Plus seul encore que s'il avait été le dernier sur terre, enterrant son père, son tuteur, son mentor. Encore.
Je suis touchée qu'il n'ait pas l'air inquiet du déroulement des choses, mais je dois avoué que je ne partage pas sa sérénité. Je suis heureuse de ne pas m'inquiéter de devoir choisir entre un lit auquel Midas aurait accès, et dormir dehors. Et de ça, je lui suis reconnaissante. Du reste, je me dis qu'après notre première mission, dont l'ordre nous sera donné demain, nous aurons sans doute le droit de choisir notre propre maison. J'aurais alors la possibilité de lui rendre son espace, son intimité. Je songe même que si je demande une chambre supplémentaire, je pourrais accueillir ma sœur. Je pourrais choisir une maison proche de celle d'Ajax. Et nous apprendrons à nous construire, loin de l'affreuse ambiance de la maison familiale. Ces espoirs me gonflent le cœur. J'entre dans la maison en souriant à Cassiopée, qui serre ma main pour attirer mon attention. Je voudrais la rassurer, mais je sais qu'elle ne cesse jamais de s'inquiéter pour moi. Elle ne peut pas vraiment savoir ce qui se passe dans ma tête, et même si elle n'en dit rien, je présume que c'est un peu angoissant.
Je ne vois pas, mais j'entends, le bol qui vole dans ma direction et va exploser contre le mur à côté de mon visage. Heureusement que j'ai le réflexe de me décaler, ou c'est sur ma tête, qu'il aurait fini par atterrir. J'ouvre des yeux étonnés, et j'attrape Cassiopée pour la cacher derrière moi en me décalant hors de la nouvelle trajectoire du projectile, alors que les cris de ma mère m'agressent :« Tu n'as pas pu t'en empêcher, hein ?! »
Ma sœur essaie de se hisser devant moi, mais je la maintiens fermement dans mon dos en fixant ma mère, ébahie. Je l'ai déjà vue en colère, je l'ai déjà vue dure, coupante, comme du verre brisé. Mais je ne lui avais jamais vu une telle violence. Elle est livide et hystérique. Ses yeux sont écarquillés, vitreux, et elle a l'air de trembler. Elle me fixe de son regard assassin, et se retourne pour se jeter sur un placard. Je sais le nombre d'assiettes qu'il contient, alors j'attrape ma cadette sans grande délicatesse, j'ouvre la porte, et la précipite dehors. Elle s'accroche à ma main quand ma mère hurle dans un crissement de vaisselle :
« Tu détruis tout, tout ce que tu touches ! »
Je regarde Cassiopée, rue pour qu'elle me lâche, et claque la porte à l'exact moment où la porcelaine éclate sur le bois. Je couvre mon visage de mon bras tout en tournant la clef dans la serrure, et me retourne vivement vers ma mère. Je me rends compte qu'elle a déjà relancé une pièce du service quand elle se fracasse sur le mur à côté de moi. Décidément, elle est plus vivace que ce que je croyais.
Je pose un regard incendiaire sur elle, et elle frémit à peine. Elle transpire à grosses gouttes, et si je ne la connaissais pas, je la croirai droguée. Je lis la détermination dans son regard fou, et malgré ses tremblements, elle rattrape une assiette. Cette fois-ci, son unique but est de me blesser. Le plus fort possible.
Je prends mon élan alors qu'elle se retourne. Je me baisse lorsque l'objet me frôle l'épaule, et arrive au niveau de ma mère en quelques pas. Je me redresse, et la ceinture pour immobiliser ses bras. Elle se débat de toutes ses maigres forces, jouant des coudes, mais ses efforts sont misérable. Elle sanglote en essayant de se libérer, faible et abattue.
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Chasseurs D'Ombres - Le secret des colonies
ParanormalPersonne ne se souvient de quand les Ombres se sont abattues sur le monde. C'était il y a des centaines d'années, les gens n'ont pas eu le temps de se mobiliser, de transmettre leur savoir, trop occupés à se battre pour survivre. Et la priorité pour...