Chapitre 23 : De grands fracas

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Les dents serrées, je toise Luke qui ressort nonchalamment de sa caisse. Il se fout de ma gueule ? Je le détaille s'étirer pour enfin me faire enfin face pleinement. Lui aussi semble agacé et singe mes mouvements. Je secoue la tête tandis qu'il me répond enfin:

" Puisque tu n'es pas capable de me parler en face, il a bien fallu que j'utilise mes qualités de fouineur. Il indique mon sac du menton alors je serre encore plus fort contre moi. J'ai jeté un coup d'œil dans ton carnet à la dernière page mais je n'ai eu le temps que de parcourir celle-ci, tu es revenue plus vite que prévu. Il y avait que l'adresse et l'horaire que j'ai pu marquer. Il lève la main. Alors que je suis venu au rendez-vous aussi, même si je n'étais pas invité. Parce que nous sommes un duo, et on travaille ensemble, que tu ne le veuilles ou non Cobb."

La gorge serrée, je ne prononce rien mais une colère sourde gronde en moi. Il n'y a qu'une chose qui me rassure, c'est qu'il ne sait pas que j'ai pu rencontrer Riley, et à ce niveau, je ne peux rien demander de plus. J'envoie un coup violent dans son bras sans m'en rendre compte, aveuglée par mes pensées. Luke pousse un cri en reculant, aussi surpris qu'affecté. Il se frotte le bras longuement.

" Putain Élie, t'es complètement malade ou quoi ? Je ne vais pas m'excuser parce que tu ne me donnes pas le choix que de jouer aux enquêteurs et que tu es assez idiote pour laisser ton carnet seul, sans aucune protection ? Sa voix monte et il revient vers moi. Et puis de toute façon, j'allais bien le savoir tôt ou tard, qu'est-ce que ça change ?

- Mais qu'est-ce que tu peux être con ma parole ! Je rage en le poussant en arrière. Si je ne voulais pas t'en parler, c'est qu'il y avait une raison, merde ! Mais évidemment, tu ne veux pas attendre un peu, non, c'est impossible ça ? Et puis qui t'a permis de lire mon carnet ?

- Honnêtement Cobb, comment veux-tu me cacher que tu as des rendez-vous clandestins avec Olivia Lawford ? C'est un scoop en or ça, tu ne peux pas me laisser sur la touche comme ça ! Tu n'as même pas d'expériences en investigation ! C'est la première fois que tu as un vrai travail en journalisme alors ne viens pas me faire la morale !"

Cette fois-ci, je recule comme ébranlée parce qu'il vient de dire. Il frappe là où ça fait mal. J'essaie de me reprendre, cherchant le meilleur moyen de l'affecter.

" Ça n'enlève rien au fait qu'Olivia n'ait voulu parler qu'à moi, qu'à moi seule ! Elle m'a expressément demandée de n'en parler à personne et par personne j'entends surtout toi, Luke ! C'est avec moi qu'elle traîte parce qu'elle n'a pas confiance en toi !"

Je hurle presque, le visage rouge. Les veines de Luke gonflent à mesure qu'il s'énerve. J'entends la porte d'entrée du restaurant s'ouvrir et se fermer au son du tintement d'un carillon alors nous baissons chacun le volume de nos voix.

" Et alors ? Si elle te fait confiance, c'est que tu dois être le profil parfait de la petite fille de bourgade perdue, qui est inconnue au vrai monde des grands, qui peut être une couverture parfaite quand vous vous rencontrez car vous avez presque le même âge et que vous pourriez bien être amies dans une autre vie ? C'est sûr qu'un homme de mon âge avec une midinette comme elle, ça ne fait pas pareil mais au fond si elle s'intéresse à toi, ce n'est pas parce que tu es bonne en tant que journaliste, elle t'a repérée dans la foule parce que tu détonnes dans le paysage, parce que tu ne fais pas encore partie complètement du monde des journalistes !

- Si ça lui permet d'avoir quelqu'un à qui se confier et faire avancer les choses, je ne vois pas où est le problème, cependant, ce qui pose problème, c'est que ton petit ego de grand journaliste connu à travers le pays en ait pris un coup dans la gueule parce que tu sais pertinemment que sans moi, on n'aurait aucun contact avec les Barnes et ça te ronge de ne pas être le premier pour une fois ! Je m'approche de lui, plus que quelques centimètres séparent nos deux visages et je chuchote au creux de son oreille. Parce que je suis novice ne veut pas dire que je suis incapable d'être à ton niveau. Et ça fait mal, n'est-ce pas ?"

Je sens qu'une chaleur bouillante habite nos deux corps et Luke s'extirpe, s'éloignant le plus possible, complètement enragé. Il bombe le torse, les yeux si plissés qu'on ne peut presque plus les voir et se pointe du doigt. Sa voix est semblable à celle du tonnerre lorsqu'il prend enfin la parole.

" Sans moi, tu ne serais pas ici, sans moi, tu ne l'aurais jamais rencontré, sans moi, tu serais toujours dans cette supérette miteuse, à servir des clients paresseux, pour une bouchée de pain, parce que tu es incapable d'aller aussi loin qu'il le faut pour avoir ce que tu veux, et tu le sais très bien ! Tu joues sur le fait d'être une femme indépendante qui sait se battre mais tu n'as pas confiance en toi, et regarde le résultat, en huit ans, tu n'as pas décroché le moindre job ! Ce n'est pas en te cachant derrière un masque de confiance que tu le seras ! Et de toute façon prends bien conscience que sans moi, tu n'existerais pas, sans moi, tu ne serais toujours rien ! "

J'en ai le souffle coupée et je porte ma main à la bouche. Il a les yeux grands ouverts, abasourdi. Je recule, blessée par la violence qu'il exulte. Mon estomac est prêt à faire un tour sur lui-même et je vois Luke se décomposer au fur et à mesure qu'il se rend compte de ce qu'il a dit. Des larmes de rage montent rapidement mais je les contiens juste à temps.

" Élie, je suis désolé, je suis vraiment un connard pour avoir dit ça, c'est complètement faux, tu le sais bien, je ne penserais jamais ça de-..."

Je lève la main pour le faire taire, ravalant mes larmes au plus profond de mon être. La tête baissée, je prends une grande inspiration.

" Si tu as été capable de dire ça avec autant de rapidité, c'est que tu dois le penser au fond. Mais il n'y a que la vérité qui blesse. Je sens ma gorge se contracter et une nausée me traverse."

Je titube vers l'arrière de la voiture, une main sur le capot, l'autre sur ma bouche. Le sang me monte à la tête et j'ai du mal à faire partir la nausée. Je me retourne juste à temps pour rejeter ce qui ne passait pas, des larmes roulant sur mes joues. Je déteste profondément être dans un état pareil de faiblesse, j'en ai presque plus peur que n'importe quoi.

Un soubresaut de mes épaules et je sens la main de Luke me presser délicatement l'une d'elle, me passant un mouchoir en papier pour m'aider à me nettoyer la bouche.

" Élie, je ne voulais vraiment pas..."

De ma main libre et propre, je le fais taire en la posant sur ses lèvres.

" Tout ça se passera de commentaires. Ma gorge me brûle et les mots ont du mal à quitter mon corps tant le goût acide me fait mal. Pour une fois, tu peux m'écouter s'il te plaît ? Il acquiesce, éberlué tandis que je m'assois sur le rebord du trottoir, la tête dans les mains. Est-ce que tu as de l'eau ?"

Sans demander son reste, il se rue dans le diner et ressort quelques minutes plus tard avec une petite bouteille d'eau plate que j'avale sans tarder. Je pousse un soupir:

" Bien, je crois qu'il n'y a plus rien à dire. Je vais gentiment retourner à ma vieille bagnole, qui n'est pas vraiment la mienne, mais que je ne dois pas à ta petite personne égocentrique. Je me lève difficilement, m'attrapant à la carrosserie de celle de Luke qui me dévisage, plein de regrets alors que je refuse son aide. Je tapote son torse puis laisse tomber ma main le long de mon corps. Tu veux un conseil Luke ? Si tu traites les femmes de cette manière, ne t'étonnes pas de te retrouver seul et rejeté. Cesse de ne penser qu'à toi et commence à écouter les autres, ça t'aidera."

Je baisse le regard en m'éloignant, puis à mi-chemin, je m'arrête et me retourne vers l'homme qui est complètement déconfit.

" Ah et, maintenant que tu sais pour mon rendez-vous, sache que je vais repartir pour New-York très prochainement pour la voir, et elle ne m'a pas parlée de ta présence indispensable à celui-ci. Comme quoi, tu es peut-être reconnu dans ta profession mais ça ne fait pas tout d'avoir une belle gueule et de savoir parler."

Je monte dans ma voiture, enclenche la ceinture de sécurité puis démarre, regardant une dernière fois dans le rétroviseur la forme du corps de Luke qui s'éloigne de plus en plus.
Tout ceci ne serait pas arrivé si au lieu de m'avoir fait des grands discours sur la confiance, il m'avait vraiment écouté.

Café Noir et Sucrette [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant