Chapitre 35

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Oui, j'ai fait des erreurs dans ma vie. Je ne suis pas fier de l'homme que j'étais avant mais pourquoi est-ce qu'à chaque fois qu'on essaie de changer, nos fautes nous rattrapent? Pourquoi les gens qu'on considère comme ceux qui seront toujours prêts à nous défendre sont les premiers à nous laisser tomber? Pire encore, ce sont ceux-là qui nous entravent. Je me demande encore comment Jay et moi en sommes arrivés là. On se connaît depuis la maternelle. On a fait l'école secondaire et l'université ensemble. Comment peut-il oublier plus de 15 ans d' amitié et passer outre la règle d'or qui est de ne jamais trahir un ami? A la fête, il avait déjà dépassé les bornes mais il était saoul, j'essaie de l'en excuser. Mais est-ce qu'il était obligé d'envoyer cette photo à Emy? Qu'essaie-t-il de prouver?

Pff, ma tête va exploser à force de me poser toutes ces questions. Arrivé enfin devant l'appartement, j'éteins le moteur et me rue vers les escaliers pour monter jusqu'à sa chambre. Il vit seul depuis qu'il a commencé ses études universitaires. Il avait tenté de me convaincre de faire de même mais je savais que si je laissais ma mère seule, la solitude en finirait avec elle. Cette chambre, il l' a louée pour une maigre somme et je me souviens qu'il m' avait dit qu'une fois qu'il se trouverait un bon job, il achèterait une bonne partie de l' appartement. Sauf qu'en Haïti, l' espoir ne fait pas vivre, il tue. Ce bon job en question est encore loin d'être décroché, il sait qu'on lui demanderait plus d' années d'expérience qu'il en a d'âge. Moi, j'ai eu de la chance que ma mère m'ait trouvé ce boulot à son cabinet.

Je toque sur la porte presqu' à me briser les doigts, me préparant à lui refaire son visage de traître. Une femme âgée sursaute quand elle ouvre la porte et voit mon poing s'arrêter tout près de son front. Je m' attendais à voir Jay. Je descends vite fait ma main le long de mon corps et lui fais mes excuses. Elle ne cache pas son mécontentement en disant que les jeunes d' aujourd'hui ne respectent plus les aînés. Je m' excuse de nouveau.

- Où est le jeune homme qui habite ici? Lui demandé-je une fois qu'elle m'ait pardonné.

- Je ne suis pas prête à dénoncer quelqu'un pour qu'on le tabasse, lâche-t-elle en fermant la porte après elle.

Elle me fait signe de sa canne de dégager de son chemin et se dirige vers la sortie.

- Dites-moi au moins s'il a laissé l' appartement, la supplié-je en marchant après elle.

Elle s' arrête à la dernière marche, réajuste ses lunettes sur son nez et rétorque:

- Je ne suis pas sa grand-mère et j' habite la chambre qu'il occupait. Devinez.

L'ironie de ses réponses m'agace mais je dois garder mon calme. Cette vielle femme ne mérite aucun cas de goûter à la colère réservée à Jay. Je la devance alors pour aller récupérer la moto et quand j' allais démarrer, elle me fait un signe de la main pour avoir mon attention.

- Il est parti chez ses parents depuis deux jours déjà. Paraît-il qu'il ne pouvait plus payer le loyer.

Je lui fais un signe de la tête pour l'en remercier. D'un coup, ma colère s'est apaisée. Il est hors de question que je me rende chez ses parents qui m'ont toujours considéré comme leur deuxième fils pour une bagarre. De plus, Jay a toujours eu cette manie de rejeter la faute de tout ce qui lui arrive sur les autres. J'imagine que c'est ce qu'il a fait avec moi. Alors, je me résous à laisser sa conscience s' occuper de lui. Il n'aurait pas de réaction de ma part, pas cette fois en tout cas. D' ailleurs, je n'ai plus la force de me battre.

Je prends le chemin inverse et rentre chez moi. Ma mère est assise sur la galerie et quand elle me voit arriver, elle enlève son regard de son téléphone pour le poser sur moi.

- Fais coucou, chéri. La caméra est sur toi.

Je la regarde, étonné mais quand je lis sur ses lèvres le "C'est lui" qu'elle me chuchote, je fais un signe vague de la main sans même regarder l' écran et rentre à l' intérieur.

- C'est mon fils dont je t' avais parlé, je l' entends dire à son interlocuteur.

Je m' enferme dans ma chambre, le coeur comme arraché à mon corps, tellement j'ai mal. Jay m'a trahi. Emy m'a largué. Ma mère est amoureuse. J'avoue que je vis le pire moment de ma vie.

Je savais que je ne pouvais me retenir pendant longtemps. Toute cette rage et cette douleur en moi ont besoin d'être extériorisées. Alors, quand j'ai fait tomber sur le sol le pot en porcelaine qui servait de décoration sur la table de chevet ou quand j'ai fait valser la lampe de nuit contre le mur, je me suis senti bien. Qu'importe à quel point ma mère s'inquiète pour moi dehors, je ne compte pas m' arrêter. Elle n'osera pas me déranger non plus parce qu'elle sait que je choisis la meilleure façon de m' exprimer.

Tout ce qui se trouve à ma merçi comme les parfums, les bibelots finissent sur le sol. Je ne ressens qu'une chose en ce moment: de la haine. Je me hais d'avoir été si con. Je me hais d'être cet homme incapable d'être heureux. Je me hais parce que je ne vaux pas la peine qu'on se batte pour me garder. Je ne suis qu'une vielle chaussette dont personne n'a besoin. Je serai abandonné toute ma vie. D'abord, il y a eu mon père. Je suis prêt à jurer aujourd'hui que s'il est parti c'est à cause de moi. Ma mère a essayé de me faire gober ses excuses mais je sais que si je valais la peine, il serait resté. Depuis tout petit, j'ai été perturbant, insupportable pour tout le monde. Il n' y a que ma mère qui essayait de voir le bon en moi qui n'a pourtant jamais existé. Elle m'a toujours toléré et je sais que j'ai brisé son coeur à maintes reprises. Combien de fois m'a-t-elle sermonné sur mon mauvais comportement? Je ne l'ai jamais écoutée. Au contraire, j'ai redoublé mes heures en boîte. Je fumais, buvais sous son nez et les filles défilaient dans la maison comme allant à une parade. Je suis sûr que si elle n'avait été psychologue, elle aurait fait une dépression à cause de moi. Du moment que je rapportais de bonnes notes, je me disais que je faisais mon devoir de fils. Mais c'est maintenant que je m'en rends compte combien je me suis trompé. Le résultat? Je suis seul. Sans mon père. Sans elle. Sans Jay. Sans Emy...

Jay et moi étions censés être des potes pour la vie. On méritait que nos enfants puissent s' appeler cousins, que nos nanas puissent être elles aussi copines mais que s'est-il passé? Il m'a fui parce que je ne mérite pas son amitié. Je dois avoir merdé quelque part pour qu'il agisse de telle sorte envers moi. Et Emy...cette fille venant de nulle part qui a su transformer la chenille que j'étais en papillon car oui, avec elle, j'avais l' impression de voler. Ses caresses, ses baisers, nos corps-à-corps me suscitaient à devenir quelqu'un de bien. J'ai changé pour elle, elle est partie à cause de moi. Je suis tellement mauvais qu'elle préfère son père à moi, cet homme de qui je devais la protéger pourtant. Elle était ma rédemption mais semble-t-il que les âmes comme la mienne sont destinées à être tourmentées en enfer et qu'une deuxième chance ne saurait exister pour nous.

D'un seul coup de pied, j'arrache la porte de l' armoire. Marchant avec mes bottes sur les bouts de verre au risque d'être blessé, je m' approche des vêtements d' Emy: le seul souvenir que j'ai d'elle à part le pendentif que j'avais fait faire pour nous. Je passe mes mains dessus comme si je pouvais la sentir, puis mes joues. C'est comme si elle me caressait le visage. Je me saisis d'une robe avant de me jeter sur le lit, la serrant contre mon coeur. Je commence à me calmer.

Pour m' avoir fait part de son rêve de devenir avocate pour défendre la cause des femmes violées, je sais qu' Emy ne me  pardonnera jamais ce que nous avons fait à son amie. Elle ne me reviendra pas mais sa robe contre mon coeur me rassure. Elle ne sera jamais si loin de moi.

Emy, Je Suis Fou De Toi (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant