Prologue

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Le soir tombait. Au loin, le soleil laissait entrevoir ses derniers rayons d'ambre qui quelques instants après mourraient. Étrangement, les grands arbres qui se tenaient non loin en rangée, telle la première ligne d'un régiment, ne cachaient pas les derniers moments de l'astre agonisant ; sans doute respectaient-ils sa mémoire bientôt oubliée.

Devant ces grands arbres, debout, se dressait une silhouette ; un homme, inévitablement. Il ne bougeait pas, et ne semblait pas le vouloir ; regarder l'orée de la forêt avait l'air d'être sa principale occupation, fixant tour à tour les troncs imposants et sombres. Les rayons de lumière lui caressaient doucement la joue droite, laissant celle de gauche en proie aux ténèbres. Il ne se retournait pas, il savait pertinemment ce qui s'y trouvait : un immense plaine infinie soufflée par la brise, œuvre féconde de tous les possibles. Une fois déjà il avait tenté ce chemin, et s'était élancé dans les longs et fins brins d'herbe, avant de se faire rattraper par la vie. Il avait tenté ce chemin annexe, hors des sentiers battus, mais cette fois-ci, le regard tourné vers la forêt, il savait que plier aux exigences étaient la seule issue. La dernière.

Il inspira longuement, et expira calmement. Il sentait le soleil s'affaiblir au loin, et ses tous derniers instants venir à grands pas. Il savait ce qui lui restait à faire ; ainsi, alors que le soleil mourait pour de bon, l'homme entra dans la forêt.

L'obscurité fut la première chose qu'il vit, ou plutôt ne vit pas. C'était comme si, avec la mort du soleil, les troncs, les feuilles, la vie des sous-bois avaient disparu ; tout semblait mangé par l'ombre. L'homme était perdu dans une toile sans couleur. Il avançait à tâtons, ses doigts cherchant dans le vide. Ses pieds ne rencontraient aucune racine, aucun tronc, résonnant à l'infini ; c'est comme si tous les arbres avaient disparu.

Pourtant, cette toile uniforme fut troublée. Au loin, une tâche, une lueur. L'ambre du soleil était revenu plus petite, plus condensée. A sa vue, l'homme s'y dirigea sans réfléchir. Il ne se demandait pas ce que cela pouvait être ou si cela pouvait le nuire, il y voyait seulement le moyen de sortir de la pénombre qui l'entourait et qui menaçait de le manger comme le soleil auparavant. Ses pas ne s'accéléraient pourtant pas ; c'est comme s'il acceptait le risque. Ou comme s'il pressentait que rien ne pouvait le toucher.

Au fur et à mesure qu'il avançait, la lueur devint plus forte et presque éblouissante dans cette forêt de noirceur. La résonance de ses pas disparut et ils devinrent sourds et étouffés. Les troncs revenaient uns à uns, comme touchés par la grâce de la lumière, tandis que ses chaussures rencontraient de plus en plus de racines, si bien que quand il finit par entrer dans la clairière où se trouvait la lumière, la forêt avait retrouvé toute son épaisseur, tout son peuple, toute sa mélodie. D'ailleurs, l'homme pouvait clairement voir le petit soleil devant lui, et même le toucher : c'était une lanterne, une simple lanterne à anse posée sur le sol. Comment ce si petit objet qui maintenant n'éblouissait presque plus avait pu être son guide dans l'obscurité vorace ? Il ne le savait pas et sans doute ne voulait pas le savoir ; ce qui comptait pour lui était d'avoir retrouvé la forêt entraperçue.

Tout d'abord, l'homme regarda avec attention cette lanterne perdue entre les arbres. Elle semblait si solitaire, posée là, si frêle avec sa lumière vacillante. Cependant, il ne savait pourquoi, il s'attendait à ce qu'à tout instant, la flamme s'embrase et le dévore. Chaque chose fragile semblait pouvoir retenir une très grande puissance, et cette lanterne semblait si fragile...

« Lumière guide de notre cœur, éclaire nos vies... Tu as fini par te résigner à venir ! »

Cette voix avait surgi de nulle part, des tréfonds de l'obscurité englobante. L'homme ne sursauta pourtant pas, se contentant de soupirer discrètement. Il ne chercha pas la provenance de la voix ; d'ailleurs, il ne prit pas la peine de répondre. La voix continua donc.

« Comme quoi même les plus désespérés finissent par faillir... Je suis malgré tout heureux de te voir ! »

L'homme ouvrit les yeux et leva la tête, ayant identifié où était son interlocuteur : sur une branche d'un arbre bordant la clairière, à découvert, se trouvait un corps couché. Il était trop loin pour qu'il puisse en découvrir davantage.

« Veux-tu descendre, que je te voie ?

- Tu es bien entreprenant ! Mais soit. »

L'homme vit alors le corps bouger et sauter de la branche. Malgré la hauteur de son saut, il atterrit lestement devant lui, dévoilant à la lumière son enveloppe corporel. Pourtant, personne ne saurait vraiment décrire l'animal : corps de lion mais tête de chat, yeux de lynx mais queue de renard. La couleur enneigée d'un tigre blanc semblait avoir déteint sur cet être, si bien que son corps aurait pu être un phare dans la nuit.

Bien qu'intrigué par ce qui se trouvait devant lui, l'homme n'en souffla mot.

« A qui ai-je l'honneur, se contenta t-il de demander avec une pointe de dédain ?

- ton guide, ton gardien, ton confident... tout ce que tu ne voudrais pas que je sois. Mon unique but est que tu arrives de l'autre côté de cette forêt.

- Est-elle grande cette forêt ?

- C'est à toi de me le dire... »

L'homme eut un bref sourire crispé, qui s'évanouit quand l'animal se dirigea vers la lanterne, pour s'asseoir à ses côtés.

« Pour notre voyage, il te faudra une lumière, guide de tous les guides. Prends-la et je te montrerai le chemin. »

L'homme s'exécuta avec lenteur. Il ne voulait pas traverser cette forêt, il ne voulait pas découvrir ses secrets ; se retourner et continuer sa vie passée était son rêve. Pourtant, il savait qu'il n'avait pas le choix. Son destin était d'avancer, non de stagner. Aussi, quand l'animal se leva et commença à marcher vers sa destinée, il le suivit comme une ombre. Au moment où ils quittaient la clairière, l'homme pourtanr parla :

« As-tu un nom ?

- Bien sûr, chère âme : mon nom est Witan. »

Alors les deux corps, guidés par la lanterne, s'enfoncèrent dans la forêt sombre.

Marche de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant