Il était une fois une jeune fille.
Son nom était E. E était une collégienne tout à fait ordinaire. Elle était bonne en classe, et c'était tout ce qui la démarquait des autres en apparence.
Elle n'était ni belle ni laide, n'avait pas un physique particulier, avait des yeux et des cheveux noirs, avait des hobbys, pratiquait un peu de sport, n'était pas particulièrement populaire tout en gardant un petit cercle d'amis, aimait le chocolat, détestait les araignées...
Une chose cependant sortait de l'ordinaire, qui dérangeait beaucoup E : son apparente capacité à pleurer involontairement en toute situation.
Dès qu'elle finissait un livre, qu'elle se disputait avec sa mère, qu'elle se mettait en colère, qu'elle était frustrée, que quelqu'un lui criait dessus -à raison ou à tort-, qu'elle regardait un film, que quelque chose la bouleversait, qu'elle trouvait quelque chose injuste, qu'une quelconque émotion plus ou moins forte la prenait...
De grosses, épaisses et étincelantes larmes de crocodiles brouillaient sa vision, obstruaient ses sens, la faisant voir flou, roulaient le long de ses joues encore un peu rondelettes, laissaient des traînés humides sur sa peau, glissaient lentement sur son menton, restaient suspendues quelque secondes, juste suffisamment pour que le temps ne s'arrête, puis tombaient sur sa manche, son oreiller, du papier, son matelas, son pantalon, sa main. Puis le nez bouché, plein de morve, et la fraîcheur de ses vêtements légèrement mouillés, puis les sanglots qui la prennent à la gorge, l'étouffant, l'empêchant de dire un mot, les épaules qui tremblaient d'une façon incontrôlable, et ces respirations rapides qui lui font tourner la tête, qui ne veulent pas s'arrêter, qu'elle ne peut pas faire arrêter.
Et enfin, cet état de confusion mentale, où elle se sent étourdie, perdue, énervée, triste, confuse, tout de suite suivi de ce calme éprouvant, où l'esprit devient blanc et en quelques sorte apaisé, où le silence se fait et où elle ne ressent plus que sa difficulté à respirer ou l'humidité de ses manches.
E avait essayé beaucoup de choses. Elle ne parvenait pourtant toujours pas à résoudre ce problème.
Elle alla chercher conseil auprès de son cher ami Internet. Elle savait qu'elle n'était pas en tort : c'est vrai, elle a le droit de pleurer, et ce peu importe ce que disent les autres. Mais indépendamment de ça, elle en a MARRE.
Marre qu'on la dévisage. Marre d'entendre des gens dire qu'elle en fait tout un drame. Parce que non, elle ne veut pas en faire tout un drame. Non, elle ne veut pas pleurer, et non elle n'aime pas pleurer. Tout ce qu'elle veut c'est simplement parler, contrôler ses foutues émotions qui pourtant débordent au bout de quelques minutes. Elle ne veut plus que son interlocuteur la regarde, puis s'arrête de dire quoi que ce soit, qu'il la prenne en pitié et lui fasse un "traitement de faveur" en s'arrêtant de parler, de crier, ou de la gronder. Elle veut parler calmement comme une personne normale, discuter des problèmes, au lieu de s'effondrer en larmes, et elle les voit, ces personnes qui lui diront qu'elle est normale et que c'est le monde qui devrait changer mais, bon sang, pourquoi le monde devrait changer pour elle? Elle en a marre, et elle veut CHANGER, peu importe que le monde s'arrête pour elle ou non. Elle en a marre, elle n'en peut plus, elle veut simplement ne plus jamais ressentir ce trop-plein d'émotions, cette sensation acide et amère en même temps qui se propage juste sous le menton, elle ne veut plus jamais avoir la pensée de "oh tiens, je sens que les pleurs arrivent" alors qu'elle pleure pour une situation qui n'en vaut pas la peine.
Elle ne veut plus faire de drame.
Et pourtant, à peine quelques jours, quelques heures plus tard, elle recommence, avec ces larmes qui coulent sans s'arrêter, ces sanglots qui coupent sa respirations et ce nez qui ne veut plus fonctionner.
Et aujourd'hui encore, E en marre.
Et du fond de son lit, je prie, intensément, pour qu'un sauveur arrive et me montre comment faire.
PS : non, je n'attends pas que vous me plaigniez. C'est même la dernière chose que je voudrais. J'ai publié ça, parce que je trouve que ça change beaucoup de mon style habituel, et aussi parce que je veux que les gens comprennent ce que les personnes hypersensibles ressentent. Ou en tout cas ce que moi j'en ressens. J'espère que ça aura au moins permis à quelques personnes de comprendre, ou même peut être de se voir dans ce texte.