M'y voilà donc. Mes premières lignes dans ce journal. Mes sentiments aujourd'hui sont si partagés... J'ai du mal à comprendre ce que je ressens. J'ai dix-neuf ans depuis trois mois. Ces lignes ne remplaceront pas ma complicité passée avec mon père, mais m'aideront peut-être.
J'ai toujours été très proche de mon père. Très tôt j'ai commencé à m'intéresser aux travaux du « grand scientifique » qu'il était. Voyant ma curiosité, il m'entraînait parfois le soir dans son chaleureux bureau, où il me montrait ses calculs, ses théories. Si je ne comprenais au début rien, bien vite cette ignorance, grâce aux fabuleuses explications de mon père, a disparu. Et j'ai peu à peu commencé à l'aider dans ses recherches, passant lorsque le lycée ne m'en empêchait pas, des journées entières avec lui.
Je me souviens, comme si elle s'était déroulée hier, de la journée du 8 août 2087. J'avais travaillé depuis l'aube avec mon père. Et au soir, nous pensions, après de nombreuses relectures et vérifications, avoir résolu enfin l'équation sur laquelle nous travaillions depuis des mois. J'aurais dû être heureuse, folle de joie même. Pourtant je me rappelle le mauvais pressentiment qui m'avait assailli alors, à l'instar d'ailleurs de mon père, ce qui m'inquiétait davantage encore.
Le 28 décembre 2087, mon père fit publier dans une revue scientifique le résultat de son équation, qu'il appelait, je n'en étais pas peu fière « notre équation ». L'article provoqua immédiatement un immense bouleversement dans la communauté scientifique. Nous fûmes assaillis les jours suivants de sollicitations de toutes sortes auxquelles j'essayais de répondre avec mon père. Pourquoi tant de bruit ? Nous avions prouvé théoriquement l'existence du graviton. Mais la présence dans l'univers de cette particule, véhiculant l'interaction du phénomène de gravitation, semblable au photon pour celui de l'électromagnétisme, était présagée par les théoriciens depuis presque un siècle. L'équation perturbait pour une autre raison. Elle montrait un moyen simple, je dirais ridiculement simple de diriger les gravitons. C'est-à-dire que si l'on parvenait à produire dans les accélérateurs de particules, toujours plus puissants, des gravitons, il serait possible de créer un véritable champ gravitationnel. Qui permette de changer la position de la Lune ? Nous n'en savions rien. Mais cette découverte ne laissait rien présager de bon. Et, malheureusement, beaucoup avaient compris la terrible réalité de nos calculs.
Deux ans après la publication de l'équation, mon père reçut le prix Nobel de physique. C'est en Suède, à l'occasion de la cérémonie, que je le connus pour la dernière fois joyeux et souriant.
A notre retour, mon père avait commencé à changer. Mes études ne me permettaient plus de suivre continuellement ses travaux, comme lorsque j'étais encore au lycée. Mais une semaine après notre retour, je compris qu'il avait enfin trouvé.
Lui-même ne me le dit pas, je devinai ses pensées. Ce silence m'inquiète, et de façon croissante au fil des jours. Car, en plus de se renfermer sur lui-même, je vois mon père avoir peur. Et même... être terrorisé.
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L'homme qui arrêta les flots
Short StoryMarseille an 3013. Depuis 912 ans, la ville vit en autarcie, protégée de la montée des eaux par l'une des plus grandes découvertes scientifiques de tous les temps, mise au profit de la soif de pouvoir d'un homme.