Chapitre 17.2, Le combat des rois

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La poignée du pavois avait frappé son abdomen dans sa chute, arrachant aux lèvres du renard une gerbe de sang. Un instant, son souffle fut coupé – il respira difficilement, commença à ramper, cherchant à rejoindre sa hache. Mais les mains d'Oksvart étaient fermement accrochées à ses chevilles, verrouillées pour que le goupil ne puisse lui échapper. Mais le futé se débattait, encore et encore, usant de ses maigres forces pour s'éloigner de lui.
Alors que Hvitur parvenait enfin à lui échapper, à s'éloigner un peu, le loup se hissa au-dessus de lui, s'asseyant sur son dos et lui arrachant un soupir douloureux. Il attrapa sa hache de ses deux mains, la glissa sous la gorge du renard et commença à presser dessus.

Son souffle coupé, Hvitur commença à paniquer. Il ne voyait plus ce qu'il faisait, sa tête balancée en arrière ne lui offrait que la vue du ciel rougeâtre du sang de Mageia. Désespéré, il tâtonnait à l'aveugle, cherchant toujours sa hache. Puis il en sentit le tranchant, l'acier froid de son arme contre ses doigts, mais sans parvenir à la saisir. Un instant, il parvint à regarder la foule qui se pressait autour du cercle, beuglant après leur chef d'achever l'audacieux renardeau.
Puis il vit Afi. Il vit ses yeux où l'espoir se noyait pour faire place à la peur. Il vit l'hésitation dans ses gestes tandis qu'il reculait d'un pas.

Et là, il la vit. Sa mère. Elle était là. En vie. Et elle le regardait, les yeux baignés de larmes. Il se souvint de ses mots. Tu ne seras jamais un guerrier, mon fils. Tu es trop malin pour ce monde, renardeau. Son cœur se serra et Hvitur poussa un hurlement qui resta muet, le manche de l'arme d'Oksvart faisant toujours pression contre sa gorge.

Il devait rendre Afi fier. Il devait les ramener, Karona et lui, en vie. Il devait offrir à Lux et Nox une armée. Et il devait saluer sa mère.

Poussé par l'espoir, par la foi, Hvitur saisit à pleine main sa hache par le tranchant, envoyant le manche dans le visage d'Oksvart qui le lâcha aussitôt, sonné. Le goupil en profita ; il s'échappa pour se relever, pour faire face à son adversaire, crachant encore poussière et sang et le jaugeant du regard. Essoufflé, il resta statique pendant quelques secondes avant de tourner autour du loup, lui hurlant dessus, l'invitant à le combattre encore.

— Lève-toi Oksvart ! Lève-toi et bâts-toi ! Aurais-tu peur du renardeau ?

L'Herrevann, dont le visage était en sang, se leva pour lui faire face. Mais lorsqu'il voulut prendre sa hache en un geste lent, Hvitur donna un coup de pied dedans, l'envoyant plus loin. Puis il lâcha sa propre hache, délaissant Kristolt pour finir ce qu'il avait commencé à la main. Cette fois-ci, il avait l'avantage.

Oksvart s'avança lentement, les poings serrés. Hvitur, plus rapide, lui envoya le premier coup, attaquant de ses doigts refermés la mâchoire du chef vatner. Celui-ci recula sous la violence du coup mais revint aussitôt, envoyant son poing dans le visage de Hvitur. Mais, porté par tout l'espoir qui semblait renaître, Hvitur plongea vers lui, profitant de son déséquilibre pour l'emmener au sol. Puis il frappa, encore et encore – jusqu'à ce qu'Oksvart ne bouge plus, seule sa poitrine se soulevant lentement, unique preuve de la vie qui parcourait encore ses veines.
Hvitur, essoufflé, le visage ensanglanté, saisit la hache de son adversaire. Il apposa ses lèvres contre l'acier de l'arme, la tendit un instant vers les cieux – en hommage à tous les dieux du monde. Puis du plat de l'arme, il frappa Oksvart à plusieurs reprises, se tâchant lui-même de son sang, réduisant le visage de l'Herrevann à un masque confus de chair et de sang.

Au bout de longues minutes à frapper inlassablement son adversaire déjà mort, Hvitur jeta la hache au sol, éclaboussant encore le sable de sang. Puis il hurla.
Pour tous ceux qui l'avaient humilié, qui l'avaient cru faible – et qui réalisaient ce jour-ci qu'il était un véritable vatner.

Autour de lui, le silence se fit. Lui-même n'osait faire le moindre bruit, esquisser le moindre geste. Il venait de tuer le Grand Herrevann, il avait vaincu Oksvart. Après de longues secondes muettes, un premier bruit d'arme frappée contre un bouclier s'éleva – suivi d'un autre. Et très vite, tous les vatners de Uibhsterk acclamèrent le vainqueur, soutenus par le prêtre d'Uibh qui étendit ses bras en s'avançant dans le cercle de feu.

— Uibh a choisi son champion. En ce jour, Hvitur Tsov, le Renard, tu as vaincu le Grand Herrevann de Uibhsterk. Le Hjerte est à toi, ces hommes sont tiens. Et te voilà béni de Uibh !
— Hvitur le Renard... Grand Herrevann des Îles Vatner !, l'acclama un premier homme.
— Hvitur le Renard !, scandèrent les autres.

Et son nom fut clamé, encore et encore, tandis que Hvitur se levait lentement, ses yeux ébahis scrutant chaque visage, chaque paire d'yeux tournée vers lui. Tous le regardaient, l'admiraient en ce jour – et tous le suivraient. Il regarda alors Afi et Karona, qui l'observaient avec espoir – puis sa mère, qui s'avançait lentement vers lui. Il s'approcha vivement, saisit ses mains tremblantes entre les siennes et plongeant son regard dans le sien.
Il n'osa dire un mot, s'arrachant rapidement à ses mains pour regarder autour de lui ce peuple qu'il tenait désormais – un peuple ravagé par le zuhyre, mais un peuple toujours debout.

— Vatners, clama-t-il, les faisant tous taire. J'ai vaincu Oksvart et me voilà Grand Herrevann. Vous m'obéissez maintenant. Vous me suivez. Et nous marcherons vers les Ramales pour prêter main forte à lord Amal dans sa quête de justice. Nous combattrons Mageia. Et encore une fois, comme de toutes les guerres, nous vaincrons.

On l'acclama encore et encore, et il se dirigea d'un pas décidé vers le corps d'Oksvart, saisissant une torche au passage. Il passa sa main dans la flamme, un sourire moqueur aux lèvres, envoyant le flambeau sur le cadavre de son adversaire et le regardant s'enflammer. Karona le rejoignit rapidement, posant une main sur son épaule.

— Vous êtes blessés à plusieurs endroits, il faut que l'on vous soigne.
— Ça ira. Pour le moment, je dois envoyer une missive à Aurovao. Nous resterons quelques jours ici, en attendant leur réponse. Peut-être sont-ils déjà partis des Ramales.

Karona hocha la tête. Il se dirigea alors vers sa mère, saisissant à nouveau ses mains frêles entre les siennes, paraissant immenses et caleuses.

— Hei, mère.
— Mon fils, tu es en vie, murmura-t-elle. Et tu es Grand Herrevann.
— Où sont les autres ?, s'inquiéta le renard.
— Ton fils est en vie. Ta femme agonise depuis des jours, elle est tombée malade... Ton frère est mort, tué par le zuhyre. Et ton père a été rejeté par Oksvart parce que tu étais son fils.

Hvitur fronça les sourcils et tourna un regard écœuré vers le cadavre de son ennemi qui brûlait non loin d'eux, dispersant une odeur immonde autour de lui ; il aurait mérité pire. Bien pire.

— Conduis-moi jusqu'à eux, souffla-t-il. Je veux les voir.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant