Chapitre 19.1, Talumen la belle

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FEURAN

Des Seascannes à Talumen s'étendaient des plaines immenses dans lesquelles paissaient moult animaux inconscients des dangers de Nokrov. Qu'importait la chaleur écrasante du soleil rouge et les journées qui n'avaient désormais plus de fins, les bêtes semblaient ne pas changer. Et, à mesure que les chevaux engloutissaient les miles, seule la couleur des vaches fonçait. Les prés ondulaient de la même manière, les clôtures étaient faites du même bois. Il n'y avait que les Dubh Sliabh, désormais sur leur gauche, pour offrir l'impression que leur trajet avançait véritablement.

Feuran talonna sa monture pour se jucher à la hauteur de sa soeur. Sur son étalon crème, Lys marmonnait. Il sourit en entendant ses mots et rit en apercevant la petite ride sur son front qui prouvait sa concentration. Elle tourna les yeux dans sa direction, avant de brusquement froncer les sourcils. Lys travaillait son nom et ses origines, ce mensonge qu'ils avaient élaborés tout deux pour la sacrer noble. Elle pouvait citer son arbre généalogique sur des décennies et ils savaient parfaitement que les nobles des Seascannes étaient si rares que mentir à leur sujet serait facile. Son nom de famille devait lui ouvrir la cour et offrir à Feuran une petite porte de sortie.

Le jeune homme raffermie ses doigts sur ses rênes. Il aurait mentit en disant qu'il n'avait pas peur. Son père l'envoyait à la mort. La nouvelle reine, dont tous sacrait la beauté autant que la cruauté, souhaitait son père. Certainement pas lui, le fils bâtard aux cheveux trop clairs. Aujourd'hui, Feuran priait pour la durée de son séjour à Talumen plus que pour sa survie. Et il haïssait son géniteur pour le jeter en porte à faux de la sorte.

— Ca va ?

Il tourna les yeux vers sa soeur. Derrière ses longs cheveux blonds, elle le fixait. Il n'eut pas besoin de mots pour lui demander de relever sa mèche, dévoilant les yeux clairs qu'ils tenaient de leur père.

— Si je meurs, tu prendras ma suite ?

La question sonnait fausse dans sa gorge et il sentit Lys se tendre à l'évocation de cette simple et pourtant si réaliste possibilité. Son étalon, à la crispation de sa maitresse, rentra les reins. Elle le rappela à l'ordre avant de grogner :

— Tu vas pas crever Ran'. T'es le moins débile des gosses de notre père, je te laisserais pas croire qu'ils pourront t'avoir.
— La reine...
— Je me fiche de cette catin. Elle ne touchera pas à mon frère. Tu m'as bien compris ? Qu'elle essaye et je lui ferais comprendre que ces petits dons de pacotilles ne sont rien face aux pouvoirs d'Unda.
— Lys...

Elle ne répondit pas, se contentant d'un énième regard noir. La magicienne était capricieuse et surtout bien trop imbue d'elle-même pour comprendre les mises en garde de son frère.

— Lys... S'il te plait, pour une fois, fais profil bas. Je doute qu'ils connaissent les pouvoirs des Seascannes à la cour... Alors ne les montre pas et contente toi de jouer l'idiote petite noblette.
— C'est étrange de te voir t'inquiéter frangin, ria-t-elle. C'est toi normalement qui fait l'idiot à aller troncher les femmes des chevaliers.
— Et c'est ma tête que tu vas devoir sauver en étant parfaite.

Ils échangèrent un sourire complice. Leurs jeux duraient depuis des années, les approchant autant qu'ils les éloignaient. Jamais personne n'avait trouvé à redire, les regardant grandir avec effrois. Ils étaient fils des Seascannes. Pire produit de ce que leur région faisait de plus mauvais.

Feuran s'éloigna alors de sa soeur, trottant jusqu'au chef de convois. Ils n'avançaient pas assez vite, ralentit par les ânes lourdement chargés de présents et par les dames de compagnie factice de Lys, enfermées dans un chariot dont les roues s'accrochaient à chaque écueils de la route. Normalement, le frère et la soeur chevauchaient seuls, galopant sur d'immenses distances. Garder le pas les agaçaient et, pire encore, Feuran craignait d'arriver en retard pour le mariage royal.

— Talumen est encore loin ?
— Trois journées. Nous ne devrions pas tarder à en apercevoir les rempares. Une fois la forêt passée, la route devant être plus praticable.
— Faites envoyer un corbeau quand vous serez certain de notre arrivée. Je ne veux pas être accueillit à grand renfort de flèches.
— Talumen est tombé Feuran. Dame Asinis sait parfaitement que de nombreuses délégations viendront plier le genou. Je doute fortement qu'elle nous accueille autrement qu'avec le sourire.
— Tu n'es pas payé pour réfléchir à ce que je sache Glove, répliqua le jeune homme. Alors fais ce que je te dis et ne discute pas.


Il entendit le soupir de son vis à vis mais ne le vit pas franchir ses lèvres. Les hommes du baron ne répondaient qu'à lui et Feuran peinait à se faire respecter, grinçant des dents à chaque nouvelles remises en questions de ces paroles.

Frémissant, il retourna aux côtés de sa soeur. Cette dernière ne lui offrit pas un seul regard, se contentant d'énoncer à haute voix tout ce qu'elle savait de la haute maison lui ayant donné son nom. Blason de rouge et d'or au soleil immense. Ancien argent abondant perdu durant les guerres. Nom encore si puissant malgré tout, aussi ancien que les plus vieux arbres des Seascannes. Feuran se permit de la reprendre sur quelques prononciations, sur des titres qu'il trouvait trop ronflants. Et passa le reste de la journée à l'aider à parfaire ce personnage de noble désargenté à l'orgueil pourtant si présent.

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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant