Chapitre 19.2, Talumen la belle

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— Nous arrivons Feuran.

Un soupir de soulagement s'échappa des lèvres du seascannien. Il avait mal partout, dans certain muscles dont il n'aurait jamais imaginé l'existence. Repus de fatigue, il tenait plus qu'il montait sur son cheval et l'animal frémissait d'envie de partir au grand galop.

En plusieurs semaines de trajets, Feuran avait vu plus de paysage qu'en toute une vie. Mais jamais il n'aurait imaginée la capitale de la sorte.

Talumen se remettait lentement de ses blessures. Comme un énorme chat blanc léchant ses plaies, elle avait exposé échafaudages et constructeurs. Une faille, dans les murailles de la ville, avait des reflets d'ecchymose mal cicatrisée, suintant de vie. Les colonies qui l'entouraient, accueillant autrefois les palais des Sides, ne laissaient plus voir que des vestiges. Et le palais, dont la blancheur avait été décrite tant de fois à Feuran, s'était teinté d'un rouge sanglant qui retourna immédiatement l'estomac de l'émissaire.

Les débris qu'on avait éloignés n'étaient pas le plus terrifiant. Se furent les énormes dragons qui encadraient le palais. Le convoi, dans son intégralité, retient son souffle. Les animaux suintaient le danger et la mort.

— Des sangéravs, souffla Lys à son oreille.

Il tourna vers sa soeur des yeux immenses et ne vit dans son regard qu'une détermination farouche.

— Ils...
— Ne devraient pas être en vie.

Le maitre du convoi ne les laissa pas discuter, ordonnant à sa troupe d'avancer. Sous le regard immense des créatures rougeoyantes, ils firent avancer leurs montures renâclant jusqu'à la Porte Dorée. Des gardes les attendaient là, puant de suffisance sous leur pourpoints rouge vif.

Glove annonça les raisons de leur présence, ne se perdant ni en fioritures ni en courbettes. Il se montrait à peine plus aimables qu'à son habitude. Les gardes s'avancèrent, jetant un oeil aux hommes, riant aux trop nombreux cheveux roux et allant jusqu'à se permettre des blagues racistes auxquelles les seascanniens n'étaient que trop habitués.

Puis ils s'approchèrent de Lys et Feuran, levant un sourcil surpris à la présence d'une dame sur une monture et non dans le chariot en compagnie de ses suivantes.

— Vous, v'pouvez rentrer. Prenez vos dames et une p'tite partie d'votre escorte. Les autres restent dehors. La ville a pas la place d'accueillir la moitié d'Nokrov. Z'ont monté des tentes pas loin, vous pourrez vous y foutre. Reste quelque place aux auberges mais vous avez intérêt à vous bouger l'cul si vous voulez pas dormir sur d'la paille.

Ils ne prirent pas même la peine de répondre. Feuran ordonna, d'un regard, aux deux Lames que son père lui avait alloué pour le voyage de le suivre et sa soeur bomba la torse, ajustant sa posture à cheval, se gaussant même d'une jambette de son étalon.

Le garde recula vivement devant les naseaux fumants de l'animal, pestant déjà contre les nobles et leurs manières.

Ils le dépassèrent vivement, séparant le convoi en deux. Feuran salua le maitre du voyage, l'assurant qu'il le rejoindrait plus tard dans la soirée pour régler les quelques questions pécuniaires restantes.

Puis ils remontèrent l'allée pavée qui serpentait de la ville jusqu'au Donjon Blanc. La ville semblait en liesse, préparant le mariage royal. Les auberges étaient toute ouverte, les étales débordaient sur la route, chargés de marchandises. Aux fenêtres, des femmes accrochaient des décorations de papier. Dehors, des hommes dressaient des minuscules statues de la Déesse désormais unique que prit Talumen. La ville vivait, la ville criait.

Mais tout semblait bien trop silencieux pour Feuan. Il manquait des putains, il manquait des pauvres pleurant leur douleur. L'allégresse semblait feinte. Il jeta un regard à sa soeur, croisa ses yeux graves. La chape qui avait coulé sur la capitale était d'une hypocrisie trop désagréable qu'ils devaient simuler ne pas ressentir. Déjà, leurs doigts s'accrochaient un peu plus aux rênes de leurs montures et leurs postures se faisaient plus rigides.

Ils finirent par parvenir jusqu'à la cour du Palais Blanc. A gauche de ce dernier, dans un enclos démesuré, les Sangéravs les fixaient de leurs regards dérangeants. L'un d'eux chuinta alors qu'un autre laissait un grognement menaçant. L'étalon de Lys se cabra brutalement, les naseaux frémissant. Elle le rassura d'une caresse sur l'encolure avant de mettre pieds à terre, suivit de son frère et des hommes d'armes les accompagnant.

Un homme sorti du donjon, assisté de deux gardes en armure de cuir légère, offrant une vue imprenable sur leurs corps de gorilles.

Feuran inclina respectueusement la tête alors que sa soeur se fendait déjà d'une révérence parfaite. L'autre les remercia d'un geste de la main, son sourire puant d'une suffisance que le seascannien vomit.

— La délégation des Seascannes. Nous ne vous attentions plu. Je suppose que vous êtes... Feuran, le fils du Baron ? Sachez que la couronne est profondément déçue de ne pas avoir l'honneur de rencontrer votre père. Sa Majesté serait bien venue vous accueillir mais elle était terriblement demandée...
— Les aléas du pouvoir, répondit Feuran, se fendant d'un sourire glacial.

L'outrage de la reine le faisait déjà grincer des dents mais il était préférable à une décapitation en bonne et due forme. Feuran savait que son père aurait dû venir à sa place, le détestait bien assez de le mettre dans une situation aussi inconfortable. Mais il savait que les siens comptaient sur son comportement exemplaire pour en savoir plus. Apprendre, découvrir et manipuler ceux qui le faisaient encore mieux que lui.

L'autre s'approcha de sa soeur, passant sans même prendre le temps de vraiment le saluer. Ici, le nom de famille faisait tout. Et Feuran était le fils d'un usurpateur et d'une femme du peuple. On ne se générait pas pour lui rappeler, il le savait avant même de mètre les pieds à la capitale. Cette petite ordure bien trop proprette serait certainement le premier à le faire.

— Dame Grian, c'est un honneur, sussura-t-il, baisant sa main. Lord Vitus Acero, maitre des lois de sa Majesté Sibille Asinis.
— C'est un plaisir Lord Acero. Je... je pense que vous aviez croisé mon cousin autrefois au conseil. Ser Deargán.
— Malheureusement décédé. J'en suis navrée Dame Grian.

Le visage de Lys se para de tristesse, ses grands yeux bleus embués. Elle ressemblait à une petite demoiselle en détresse et Vitus fut prit dans son jeu, lui offrant un bras compatissant.

— Je vais vous présenter vos appartements Dame. Sa Majesté vous rencontrera durant le repas de demain.

Le sourire de Lys était un mensonge immense, qui manqua faire exploser de rire Feuran. Il garda pourtant un visage de marbre, luttant contre la rage qui l'envahissait à chaque nouvels affronts du maitre des lois. Ce dernier s'interrompit, se tournant vers le seascannien.

— Quand à vous. Laissez vos montures aux pages. Mes hommes s'occuperont de vous et des vôtres.

Puis il tourna les talons, emportant avec lui Lys.

Feuran se tendit d'un grimace avant d'obéir. Un page, qui ne devait pas avoir plus d'une quinzaine d'année, attrapa l'étalon de sa soeur, frémissant devant l'immense bête. L'émissaire lui tendit le sien avant de suivre les hommes de Virtus qui le guidèrent à l'intérieur du Palais Blanc. Il était désormais sur les terres de la couronne et dans le nid des vipères.

Le jeu pouvait véritablement commencer.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant