Savoir, penser, rêver : Cristal

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La chute semble durer une éternité. J'ai le temps de penser. De penser à ce que j'ai fais pour en arriver là, à ma soeur, aux séries qu'il faut que je continue de regarder, au sommeil, à manger, et à pourquoi je pense à ça alors que je tombe dans le vide.

Savoir, penser, rêver. Tout est là.¹

Je ne sais pas pourquoi je ressors ces paroles, mais j'ai la certitude que c'est Jason qui me les a dites. Jason. Il me manque, lui aussi.

Alors que je me demande comment et quand nous allons atterrir, une surface élastique apparait sous mes pieds. Le «sol» s'étire vers le bas, puis je tombe sur l'étendue molle. Un trampoline. Ok. Bon, on va appeler ça la chance du débutant. Je descends de ce matelas improvisé, suivie de Brave. Une nouvelle pièce s'offre à nous. Très longue et très large, elle est pourvue de box ainsi que de larges fenêtres donnants sur une plaine enchanteresse. Y'a t-il réellement une bataille au dehors ?

Les écuries. Là, de petits êtres, n'ayant pas vus notre apparition quelque peu étrange, font des allers-retours à travers les box, munis de ça et là de seaux, de foin ou de râteaux. Bizarre, ces nains. Ils sont totalement dépourvus de poils...

- Des Kaminoutos, chuchote Brave, esclaves de Saphir, comme tu t'en doutes. Mais ils sont très fiers, mieux vaut ne pas les croiser. Ils sont capable de...

- De ?

- De t'arracher les yeux à distance.- À ouais, chaud. Viens, cachons-nous là !

À pas de loups, nous nous dirigeons vers le premier enclos qui nous vient. Je m'assoie sur la paille fraiche, pour réfléchir à comment traverser la salle sans que ceux-là nous voient. C'est alors que j'observe un phénomène étrange. Un par un, à un intervalles réguliers de deux secondes, des Kaminoutos tombent dans le trampoline, puis continuent leur routes dans l'allée, à la queue leu leu, comme des robots.

Soudain, quelque chose me chatouille l'oreille. Je me retourne; un sublime cheval se dresse devant moi. Sa robe couleur ténèbres fait ressortir ses yeux verts d'eau. Après avoir cligné des yeux de surprise, je reste sidérée. L'animal vient de changer d'un coup, et est devenu totalement blanc. Un blanc si pur qu'il en devient envoutant. Je regarde Brave, et lui aussi est scotché. Me frottant les yeux, je regarde à nouveau la bête et surprise ! Du noir. Du blanc ! Du noir !

Changement de décor.

1. Victor Hugo

Moi, plus jeune, assise sous l'ombre du chêne de notre jardin, en train de lire un livre. Je me souviens, ce lieu était pour moi une sorte de bulle dans laquelle je m'enfermais pour rester avec moi-même et penser. Le livre en question est violet et or. «La France enchantée : Légendes de nos régions». J'ai toujours adoré ce livre. D'une certaine manière, il m'a fait découvrir mon pays comme je ne l'avais jamais vu.

M'approchant de moi, je me penche sur l'ouvrage et me met à lire.

«Le cheval Mallet est un cheval fabuleux à la robe tantôt noire, tantôt blanche. Richement harnaché, il apparaît au crépuscule aux voyageurs fatigués et se laisse flatter l'encolure en hennissant doucement, s'offrant comme monture. Mais à peine sont-ils en selle que le cheval Mallet s'élance au galop, comme un ouragan qui se déchaine, dévorant l'espace qui l'entoure. Ses pieds légers ne touchent plus terre, ses naseaux vomissent de la fumée, ses yeux éclairent l'horizon. Son voyage dure la nuit entière, toujours aussi rapide. Mais à peine l'aube se met-elle à pâlir que le cheval Mallet désarçonne son cavalier et le jette impitoyablement à terre, les reins brisées et le cou tordu.»

Une voix inconnue me sort de mon rêve :

- Hé ! Vous faites quoi là ?!

Brave et moi nous retrouvons face à face avec un Kaminoutos.

- Attendez... Mais ! Vous êtes notre Bienaimée Impératrice Cristal !

Et il s'incline aussitôt mais, enchaîné comme il l'est, tombe à la renverse. J'accours pour l'aider, et le démêle de ses liens en questionnant :

- Les Kaminoutos ne sont-ils pas sensés vénérer Saphir ?

- Pas tous votre Majesté Impériale. Ah, merci bien, ses chaînes sont si lourdes. Nous sommes une dizaine à vous soutenir secrètement.

- Je vois. Donc tu peux nous aider à sortir de là ?

- Bien sûr, votre Majesté Impériale !

- Comment ? intervient Brave, me jetant des coups d'oeil méfiants.

- Sauf votre respect, Maro Splendidum Ver, je préfère garder la surprise...

Brave me fixe, l'air de dire «on ne peut pas lui faire confiance». Et je le regarde l'air de dire «c'est ça ou rien». Sur ce, le Kaminoutos sort du box puis crie :

- AU FEU ! Tout le monde à l'abri !

Me penchant pour voir l'allée, j'observe que tous les esclaves courent du mieux qu'ils le peuvent vers une petite salle à part. En un instant, le lieu dans lequel nous sommes est vide.

- Maintenant ! crie notre complice.

Nous sortons tandis que je jette un dernier regard au cheval de mon enfance et me promets de le retrouver. Il n'y a qu'une seule sortie mais, avant de partir je me retourne et adresse un sourire à notre sauveur.

- Merci heu...

- Chorizo.

- Merci Chorizo. Pourquoi ne pas venir avec nous ?

- Je ne peux pas, ils me retrouvaient et cela vous mettrait en danger. Mes plus sincères remerciements, votre Majesté Impériale.

- Je te promets, que quand tout sera fini, tu auras une place parmi nous.

Le petit homme se contente de s'incliner, comme ému par mes mots. Et c'est attristés de devoir le laisser là que nous sortons. 

Cristal et RubisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant