Dès que le Mont-de-Feu pointa le bout de son nez derrière une colline, Isolde fut soulagée : comme elle avait demandé à Siegfried de le faire, le drapeau du Prins, un oeil avec la pupille en bouton de fleur, avait été haussé pour lui signaler leur bonne arrivée. Il sembla même que Kaspar augmenta leur allure en l'apercevant, comprenant qu'elle s'impatientait. Il n'avait pas trop d'inquiétudes à se faire : leur discussion d'hier avait complètement adouci le regard qu'Isolde portait sur lui. Il n'était plus incompétent mais paniqué, désespéré, un homme qui se rendait compte lentement qu'il venait de commettre une erreur colossale qui lui avait coûté peut-être le seul amour de sa vie. Il était distrait, et triste, et seul, au point même qu'Isolde avait été offensée quand il avait voulu se comparer à elle. Elle n'était pas seule : elle avait Siegfried, et Fan, et son père, et maints autres membres de famille et amis. Elle ne s'entendait pas toujours bien avec eux, et les disputes étaient souvent de sa faute, mais au moins ils étaient là, et ce n'était pas parce qu'elle ne passait pas ses journées à s'apitoyer sur leur sort qu'elle ne s'inquiétait pas pour eux.
Elle ne voulait pas qu'on dépende d'elle. Ou plutôt si, elle voulait qu'on dépende d'elle, mais pas pour des choses aussi triviales que des chagrins d'amour ou une coupe à remplir. C'était sa devise quand elle était enfant : sergent, pas mère, une citation hors de contexte qu'elle avait reprise des mémoires d'un combattant de la sécession. Sa citation et son rêve. Aussi. Il était facile de s'imaginer guidant des armées et élaborant des stratégeis au Perce-Neige, un château qui ne pensait qu'à la guerre et presque entièrement occupé par des soldats. Maintenant qu'elle n'admirait plus les rondes dans la cour chaque matin, et ne portait plus ses robes dans le style militaire, ces aspirations semblaient bien loin d'être. Ne rêvait-elle de guerre que parce qu'elle habitait là-bas ? Et si c'était le cas, que devenait-elle lorsqu'elle s'en éloignait ?
Siegfried et Fan, de leur côté, les avaient bien vu arriver, et les attendaient à la porte. Isolde bondit de la voiture en marche pour aller à leur rencontre, courant les bras ouverts vers Fan -Siegfried tendit la main pour la ralentir.
-On n'oublie pas l'épaule, quand même, dit-il.
Isolde sourit et prit Fan dans ses bras, doucement. Elle était entière, elle était là, et c'était déjà la seule racine dont le bonheur d'Isolde avait besoin. Elle se détacha de Fan mais conserva ses mains sur ses épaules, pour la palper, s'assurer que sa guérison était sur son chemin ; elle sentit une grosseur sous sa robe là où ses bandages étaient, et une autre énorme bosse sous ses cheveux. Rien d'inquiétant.
-Tout s'est bien passé ? demanda-t-elle.
-Parfaitement, dit Fan.
-C'est limite si Audra ne nous a pas confié les clés de la ville avant qu'on ne parte, renchérit Siegfried.
Isolde se détacha complètement de Fan, et avant qu'il ne puisse protester, saisit son frère dans ses bras -quelque chose qu'ils n'avaiet pas fait depuis des années. Il se tut si soudainement qu'il s'en arrêta de respirer, puis ses esprits lui revinrent et il tapota doucement le dos d'Isolde, avant qu'ils ne s'écartent l'un de l'autre.
-Bref. Preuve de plusqu'on aurait très bien pu faire le voyage sans Kaspar, reprit-il.
-Tu oublies les Trousse-Gorge, répondit Fan.
-On les aurait semé.
-Bien sûr.
Sanj et Tre vinrent à leur rencontre, et des scènes similaires de retrouvailles eurent lieu, avant que chacun ne se séparer pour aller vaquer à ses occupations : Kaspar avec Tre pour rendre visite à des amis d'enfance, comme il était dans sa ville d'origine, Sanj et Siegfried dispersés dans le château pour se reposer, et Isolde et Fan dans un coin isolé du château, pour se mettre au courant des plus récents développements.
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Depuis le Perce-Neige
FantasySuite à ses fiançailles avec une quasi-inconnue, Siegfried Burgrave doit traverser le pays en un mois, accompagné de sa soeur, de sa meilleure amie, et supervisé par un chasseur à gages bordant sur l'incompétence. Le chemin jusqu'aux Costes est long...