CHAPITRE 1

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Elle courait. Elle ne savait plus pourquoi mais elle courait. Elle avançait à toute allure en évitant les branches des arbres morts sur son passage. Sous ses pieds, le tapis de feuilles aux couleurs d'automne s'envolait. Elle ne laissait derrière elle que des traces à peine visible dans la boue. La terre humide souillait ses pieds. Ces bois l'hypnotisaient sournoisement, une petite voix lui soufflait qu'il y avait une fin à cette course, elle y croyait presque mais ses sens n'en voyaient pas le bout. Tout était sombre, même les rayons de soleil qui réussissaient à percer la cime des arbres se perdaient dans ce cauchemar étouffant.

Pourquoi courait-elle s'il n'y avait pas de fin ? Son cœur battait si vite qu'il lui faisait mal. Ses jambes la portaient mais pour combien de temps ? Elle n'en pouvait plus. Elle s'essoufflait un peu plus à chaque mètre parcourus. Elle se sentait vaseuse, oppressée, mais ce n'était pas l'odeur de l'écorce, de la mousse et des champignons qui l'asphyxiaient. Soudain un souffle de vent ardent lui frôla la nuque. Ça y'est. Elle se souvenait. La fumée. Les Flammes, elles étaient là.

Elle se releva précipitamment, son front en sueur et la bouche pâteuse. Elle soupira en passant sa main sur ses yeux fatigués. Cette nuit l'avait épuisé. Rêver n'était certainement pas de tout repos. Elle ne pouvait s'empêcher d'envier tous ceux dont l'érotisme et les fées partageaient leurs songes. Dormir avait pour elle les mêmes effets qu'un camion lui passant dessus, rien de très charmant. L'habitude avait fini par l'endurcir mais ce cauchemar en particulier n'avait jamais rien eut d'agréable et d'habituel.

Elle retomba sur son lit, son dos cambré sous ses draps empêtrés, sa poitrine lui paraissait si lourde et le plafond si près. Nonchalamment, elle tourna la tête vers son réveil. Il était onze heures. Onze heures et deux minutes. Le premier septembre. Ces nombres tournaient en boucle dans sa tête. Ils annonçaient une date qu'elle ne connaissait que trop bien. Celle de sa naissance. Quelle journée plus que médiocre, elle ne voulait même pas quitter son lit. Elle entendait la pluie claquer contre les volets de sa chambre. Le vent sifflait lugubrement. Le temps ne prêtait pas à la fête.

Avec un courage insensé, elle s'étira sur son lit dans toute la longueur du bout de ses doigts à ses hanches comme un félin. Elle devait cesser d'incarner la loche mais cet animal semblait hanter sa vie. L'école n'avait apparemment pas de place pour les fainéants. Elle jeta ses draps avec entrain, ouvrit ses volets et se dirigea vers son armoire. Son reflet dans le miroir apposé ne la surprenait même plus. La loche était peut-être destinée à devenir son animal totem après tout. Cela faisait des mois qu'elle n'avait même pas appliqué une seule crème sur son visage mais elle s'en moquait. Son frère ne s'en souciait pas non plus pourquoi devait-elle se donner cette peine ? Elle entendait déjà sa mère lui faire la morale « une jeune femme devait savoir prendre soin d'elle », cela la faisait bien rire quand elle surprenait son frère se curer le nez, se gratter le sac et renifler ses mains d'un air je-m'en-foutiste. Elle devait se faire belle pour ça ? Naaah. Ce n'était pas dans ses projets de vie.

Elle sortit de son placard un large hoodie violet et un jeans quelconque. Elle tria ses paires de chaussettes mais plus aucunes ne lui allaient, troués comme des gruyères, elles faisaient peine à voir. Il était peut-être temps qu'elle s'en préoccupe. Sa mère en aurait honte mais elle haussa ses épaules d'un air nonchalant. Qu'elle s'en occupe maintenant ou dans trois semaines, elle n'était plus à ça près. Ses pieds avaient poussé trop vite, s'excusa-t-elle en les regardant. Tout comme le reste d'ailleurs. Une poitrine dessinée, un bassin de femme, des cuisses plus généreuses, une taille marquée, un visage affiné, plus rien ne laissait place aux souvenirs de joue rosie.

Elle fut forcée d'interrompre ses réflexions quand elle sentit soudainement accablée d'injustice et d'affliction pour son linge étendu depuis la veille sur le balcon, elle mettait sa main à couper que son frère peu attentionné n'y avait pas pensé.

Profondément chagrinée par la pile de prochaine machine qu'elle s'imaginait déjà, elle s'empressa de rentrer les vêtements à l'intérieur. Son désarroi ne s'arrêta pas là quand elle surprit son chat frissonnant et trempé se glisser entre ses jambes. Cet imbécile allait retourner la maison entière dans cet état, et surtout, comment avait-il pu grimper sur le balcon sans aucunes accroches ? Râlant elle jeta la pile sur le lit et entama sa course poursuite de l'année mais le chat noir avait déguerpi depuis bien longtemps. Son calme apparent s'envola très vite lorsqu'elle vit les traces de ses pas sur le parquet flottant. Ses aventures dans le bois d'à côté s'avéraient fructueuse car le mulot qu'il sema dans sa course en témoignaient que trop bien. Elle ne donnait pas cher de sa peau, aux moindres draps sales, il passerait l'hiver dehors. Traversant la mezzanine, elle suivit les traces qui se dirigeaient tout droit vers la chambre de ses parents. La course poursuite c'était transformée en cache-cache de mauvais goût. Dépitée, elle fixa la porte entrouverte. Sa journée ne lui réservait décidément rien de bien. Elle rentra dans la chambre, le chat lui faisait face, droit comme un pic sur les documents de son père, se léchant les babines et baillant nonchalamment. Il allait mourir si son père l'apprenait.

« — Allez Perle, descend ! » ordonna-t-elle rapidement. Voyant qu'il ne réagissait pas, elle tenta de l'attraper mais il l'esquiva vicieusement, filant encore une fois entre ses pieds. Sautant sur un meuble, elle vit son chat ouvrir d'un coup de patte la porte donnant sur l'escalier extérieur. De justesse, il l'évita une deuxième fois et se faufila comme une anguille. Ce chat semblait prêt à survivre à n'importe quoi dommage que sa nourriture et ses futurs pâtés se tenaient en otage.

La jeune fille soupira, tout ce que son chat avait gagné était un demi-tour expéditif, elle voulue refermer la porte quand une rafale de vent violent secoua brusquement la pièce emportant la pile de dossiers. Elle n'en avait décidément pas fini avec ce suppôt de Satan. Claquant la porte derrière elle, elle bondi sur ses chaussons sous la pluie ruisselante, son sang-froid était parti en fumée.

Après de vives exclamations de mécontentement, marqué d'insultes, de grognements et de grimaces, elle rassembla minutieusement toutes les feuilles. Il n'en restait qu'une. La récalcitrante. Se baissant pour la ramasser, son entrain fut vain lorsque le vent n'en fit qu'à sa guise. Le bout de papier trempé s'envola tout droit vers les bois. Finalement, c'était elle qui allait égorger ce chat et comme si la malchance ne s'acharnait pas déjà assez sur elle, l'orage tomba du ciel. Merveilleux, le pire cauchemar d'Obélix et Astérix devenait réalité. Tout commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs. Les dieux n'avaient qu'à bien se tenir.

D'un pas décidé, Brenda s'aventura dans les bois, elle allait attraper cette foutue feuille et en faire elle-même de la charpie. Mais le vent semblait être encore plus déterminé à la faire plier. La pluie déchainée fouettait son visage. Les bourrasques faisaient fléchir ses jambes de roseau. Ouvrir ses yeux lui était difficile et les mètres devant elle, indistincts.

« — Reviens ici ! » cria-t-elle dans un dernier hurlement de protestations. Puis soudain, plus rien. Sa voix disparut sans même avoir été entendue. La colère des cieux emporta dans un énième tonnerre ses rugissements.

On dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit. Alors pourquoi eut-elle l'impression que Zeus s'acharnait sur elle ? Sa vie lui avait paru si courte en cet instant précis. Elle avait vu une première, puis une seconde, une troisième lumière. Son corps s'était convulsé. Ses muscles contractés, son âme entière s'était figée. Les coups étaient vifs, gratuits sans justifications. Et simplement, et lentement, elle s'était endormie, seulement quelque chose, en elle s'était réveillée. Alors elle ne se souvint plus si c'était la fin, ou le commencement...

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BRENDA STORM - Shadow's soulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant