Ch. 1 : Une Princesse Au Tribunal

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La princesse Zanya était debout devant sa psyché, sa chambrière Marthe se tenant derrière elle, en train de lui nouer les cheveux en un chignon complexe, à se demander si son quotidien de fille de roi n'avait pas changé sa façon même de penser. Engoncée dans une robe à la française rouge clair, elle suffoquait, à cause de son corset qui l'empêchait de respirer convenablement.
Elle se demandait pourquoi on l'avait fait s'habiller ainsi, alors que l'occasion ne se prêtait pas aux atours de cérémonies. Elle n'allait pas à un bal. Non. Aujourd'hui, elle allait au tribunal, avec son père, sa mère et ses deux frères aînés, car en ce jour-là se tiendrait le procès d'un des criminels les plus craints du royaume, l'Exécuteur. Il allait être jugé. Et condamné, sans aucun doute, à la peine capitale.
Non, vraiment, elle ne comprenait pas pourquoi elle devait se mettre en robe. Déjà qu'elle détestait les corsets, elle n'appréciait pas devoir en mettre un sans raison valable.
« -Allons donc, votre majesté ! Redressez le dos ! »
Levant les yeux au ciel, Zanya se redressa et se regarda dans le miroir. Il lui renvoya l'image d'une jeune fille de petite taille, à la peau blanche laiteuse et aux cheveux châtain foncé. Elle ne se trouvait pas particulièrement jolie. Certes, elle aimait bien ses yeux, bleus perçants et encadrés de longs cils épais, mais pour le reste... Elle n'aimait pas sa poitrine, trop peu proéminente aux goûts de la cour. Ses cheveux, toujours disciplinés en des coiffures strictes, étaient ternes et sans vie. Ses lèvres, pulpeuses et roses, ne convenaient pas aux standards de la noblesse qui les voulaient fines et élégantes. Vraiment, elle se trouvait insipide.
C'est l'instant que choisit sa mère pour faire irruption dans sa chambre. La Reine était resplendissante, dans sa robe vert pomme, s'accordant avec ses beaux cheveux blonds et ses yeux émeraude. Plus grande qu'elle, elle avait un visage marqué par le temps, mais n'en conservait pas moins une beauté exceptionnelle. Jamais la princesse n'arriverait à égaler la magnificence de sa mère.
Immédiatement, Marthe se courba, suivie de Zanya.
« -Bonjour, mère.
-Bonjour, ma fille. Dis-moi, es-tu prête ?
-Oui, mère.
-Bien. Nous devons y aller, autrement l'audience commencera sans nous. »
Mais bien sûr. Qui allait oser commencer sans la reine ? Pourtant, Zanya ne dit rien. D'un hochement de tête, elle signifia son accord à sa génitrice, qui sortit dans un tourbillon de jupons. La princesse s'élança à sa suite, pestant intérieurement contre les bottines à talons qui lui martyrisaient les pieds.
Elles arrivèrent au carrosse royal, dans lequel se trouvaient déjà le Roi son père, ainsi que ses deux frères, François et Antonin. Elle n'était pas dans les meilleures grâces de François, l'aîné, mais elle était assez proche du benjamin Antonin, qui n'avait que deux ans de plus qu'elle. Il lui sourit gentiment et se décala pour qu'elle puisse s'asseoir. Enfin, elle put s'installer plus ou moins confortablement, les baleines de son corset l'empêchant de respirer correctement. En face d'elle était installé son père, le Roi. Elle inclina respectueusement la tête.
« -Bonjour père.
-Zanya, ma fille ! Comment vas-tu ?
-Bien, et vous ?
-On ne peut mieux, mon enfant. Mais dis-moi... Ta chambrière n'a-t-elle pas tardé à t'habiller ? »
La jeune brune décida de passer sous silence le fait qu'elle se soit endormie pendant son bain, ou qu'elle ait dû se battre pour discipliner un tant soit peu ses lourdes boucles brunes qu'elle avait omis de brosser la veille et l'avant-veille. Sa mère se joignit à la discussion, tandis que leur carrosse les ballotait de droite à gauche.
« -Nous allons devoir te changer de chambrière. Marthe n'est plus aussi rapide qu'avant. Peut-être Isolde serait-elle plus apte... »
Horreur ! Il en était hors de question ! Isolde était odieuse, et la vieille Marthe était la seule qui la laissait desserrer un peu son corset pour glisser dans l'interstice entre sa poitrine et les baleines un petit couteau. On n'était jamais trop prudent. Surtout quand on faisait partie de la famille royale.
Elle baissa le regard pour ne pas avoir à répondre à ses parents. Antonin dut le comprendre, car il vint à sa rescousse.
« -Ma sœur, n'est-tu point contente de voir le Prince Ecan ? »
Le prince Ecan... Zanya dut se retenir pour ne pas soupirer d'agacement. Elle était promise à ce prince depuis sa naissance. Elle aurait tant aimé qu'il soit séduisant. Au lieu de cela, elle avait eu un homme de dix ans son aîné, au ventre proéminent et aux manières rustres. Elle força un sourire.
« -Il me tarde de le voir, en effet. »
Et tout aussi simplement, la discussion vira sur les intérêts politiques qu'avait cette union. Les trois hommes parlaient, tandis que sa mère et elle restaient silencieuses. Car, comme chacun le savait, les femmes étaient inférieures intellectuellement parlant, et ne pouvaient donc se mêler aux discussions du sexe fort. D'ordinaire, Zanya aurait aimé montrer qu'elle n'était pas si stupide que ça, en donnant son avis et en réagissant aux remarques. Elle avait toujours détesté le fait qu'elle ne puisse parler politique ou économie. Mais en l'instant, elle préféra se plonger dans ses pensées.
Comment les membres de sa famille pouvaient-ils être aussi joyeux, à l'idée de la mise à mort de quelqu'un ? Après tout, elle n'oubliait pas qu'ils allaient au tribunal pour condamner à mort un homme ! Si on l'avait habillée ainsi, cela voulait dite que c'était un événement officiel. Et si Ecan venait, alors qu'il était prince d'un pays voisin, c'est que l'affaire ne concernait pas seulement leur nation. Soupirant, elle se dit qu'elle avait hâte de savoir à quoi ressemblait ledit criminel.




Assise à la droite d'Antonin et à la gauche de la Reine, Zanya s'ennuyait ferme. Le derrière positionné sur un trône peu confortable, à regarder son père essayer de départager deux villageois qui se disputaient pour un lopin de terre agricole, elle en regrettait presque les cours de danse ou de latin que sa mère la forçait à prendre. Suivant les règles de la bienséance, elle n'avait même pas le droit de soupirer d'agacement. Ils étaient là depuis plus de trois heures, à enchaîner les procès. Celui du criminel qu'elle attendait viendrait bien évidemment en dernier, histoire de l'agacer au maximum.
Elle avait des fourmis dans les jambes. Retenant de justesse un énième soupir, elle changea de position, permettant à la baleine de son corset de mieux la poignarder.
« -Il suffit, jeune fille. »
La voix sèche de sa mère la coupa dans ses mouvements.
Dieux, que cette journée allait être longue...

La Couronne et l'Épée [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant