Que s'élève ta voix

Chapitre 10

Jungkook regardait sa montre sans écouter le moindre mot qui sortait de la bouche de son professeur. Tic. Il n'en pouvait plus d'attendre. Tac. Mais cette joie presque confuse tant elle était intense ne cessait de grandir. Tic. Il comptait les secondes, tortionnaires, qui le séparaient de son bonheur. Il pianotait sur le bord de sa table sous les regards amusés de Jin.

Cette semaine, il n'avait eu l'occasion de voir Taehyung uniquement le lundi, rapidement, pour le prévenir de son absence les jours suivants. Et s'il n'était pas tourmenté car savait qu'il le retrouverait bientôt, le manque n'en était pas moins important. Il avait passé la semaine à travailler, sans relâche, pour avoir son week-end de libre. Toute la petite troupe était si enjouée à l'idée de passer une après-midi ensemble, le samedi, qu'ils en avaient tous fait de même.

Jungkook et Jin avaient d'ailleurs découvert qu'ils travaillaient plutôt bien ensembles, et l'un passait souvent ses soirées chez l'autre, où ils aimaient se retrouver, en silence, pour se concentrer sur leurs tâches respectives. 

Le lundi, les professeurs avaient annoncé qu'à partir du mois d'avril, ils devraient se concentrer sur un unique projet, dont les modalités leur seraient précisées plus tard. Ils avaient insisté sur le fait qu'en vue de sa préparation, ils se devaient tous, sans exception, de s'exercer dans toutes les disciplines proposées à l'école, et de rendre un projet au moins quatre d'entre elles. Beaucoup d'élèves avaient trouvé qu'on leur en demandait bien trop, d'autant plus que la charge de travail habituelle n'en était pas pour autant diminué mais Jungkook, lui, avait rarement eu l'air aussi motivé que depuis cette annonce.

Il restait en salle d'art jusqu'à tard, beaucoup trop tard d'après Jieun, et ne cessait d'aller d'élèves en élèves, pour leur demander des conseils sur leur spécialité. Il avait ce regard, cet éclat curieux, qui fourmillait d'idées. Cette étincelle qui avait enflammé ses pupilles et son sourire lorsqu'il était venu en parler à son ami. Cette étincelle qui avait couru dans l'échine de Taehyung et était venu colorer ses joues. Ce que la passion lui allait bien. Ce qu'il était beau, comme ça. Il l'avait regardé parler, longuement, lui montrer ses croquis, en faire quelques uns, laissant l'atmosphère s'emplir de son imagination sémillante.

Et puis, quand il était parti, quelque chose était resté. Tout autour de lui, Taehyung sentait encore cette douce effervescence. Dans la nuit, une petite flamme qui dansait, et qui s'était faufilée jusqu'à son coeur qu'il ne parvenait pas à calmer.

Les secondes s'étaient écoulées, et lorsque l'aiguille eut fini son ultime tour, Jungkook était déjà debout, son sac sur le dos. Ni l'éclat de rire de Jin, ni les moues amusées de Jieun et Younha, et encore moins l'air médusé de son professeur qui n'avait pas fini de parler ne parvinrent à l'arrêter. Il sortit de la classe en vitesse, enfilant son écharpe tout en dévalant les escaliers. Le froid qui s'engouffra dans l'établissement lorsqu'il en ouvrit la porte d'entrée ne l'arrêta pas. Il ne le sentit même pas.

***

Il arriva bien vite à destination. Il balaya l'endroit des yeux et tomba rapidement sur ce qu'il cherchait. Au beau milieu de la neige, une touffe brune, le nez levé vers un arbre sur lequel s'était posé un petit oiseau. Jungkook fit encore quelques pas. Sans un bruit, sans même une pensée, il sortit doucement son appareil photo de son sac. D'ici, il voyait parfaitement les mèches bouclées qui tombaient sur son front et cachaient ses yeux. Et pourtant, son regard le transperçait. Sans même qu'il ne lui soit destiné, sans même qu'il ne puisse l'apercevoir. Son menton à peine levé, sa bouche légèrement entrouverte, son doigt timidement tendu en l'air, et surtout, cet oiseau qui ne bougeait pas, comme hypnotisé, comme s'il le regardait aussi, tout dévoilait la douceur du regard qu'il ne pouvait pourtant voir. Et Jungkook trouvait ça beau.