Par cette chaude nuit d'été, la lune brillait de tout son éclat dans le ciel dont les reflets scintillaient sur un immense lac. Seuls le clapotis des eaux sombres du lac et le bruissement des arbres venaient rompre le silence.
Il y eût un frémissement, et une silhouette surgit des arbres qui bordaient le lac. Un homme, pieds nus, s'avançait lentement dans l'eau jusqu'à ce que ses mollets disparaissent. Il s'arrêta et semblait fixer un point invisible droit devant lui. Et face à lui, au delà du lac, s'étendait à perte de vue une sombre et gigantesque forêt qui le captivait telle une flamme attirant des papillons de nuit. Le vent commençait à se lever. Il sentait la brise légère sur son cou dénudé. Sa respiration était calme et silencieuse. Les mains dans les poches, il restait là, immobile et concentré, comme s'il attendait que quelque chose ou quelqu'un se manifeste à l'autre bout du lac. Comme si une forme allait jaillir de cette forêt, et venir à sa rencontre. Il attendait.
Non loin de là, les enfants d'un pensionnat dormaient paisiblement, hors l'un d'eux fut tirée de son sommeil par des pas précipités et des chuchotements qui venaient de son couloir. Cette jeune fille avait le sommeil très léger et avait l'habitude de se faire réveiller au milieu de la nuit. C'était la troisième fois de la semaine que cela arrivait. Et pour une troisième fois elle se disait que c'était sûrement un des gamins qui avait dû se faufiler hors de son lit. Les surveillants étaient sur le qui-vive.
C'était une habitude qu'elle endurait depuis 15 ans. Elle n'avait aucun souvenir de sa vie d'avant, car elle n'a jamais pu connaître ses parents. Orpheline de naissance, elle fût recueillie et élevée dans ce pensionnat pour jeunes orphelins, et dormait entre ces murs depuis bien trop longtemps à son goût. Elle avait désormais 15 ans. Et pourtant, elle avait l'impression qu'elle était retenue prisonnière, ici, dans cet immense château. Bien que la majorité des pensionnaires étaient bien plus jeunes qu'elle, l'idée de s'enfuir ne lui était jamais venu à l'esprit. D'une part, parce qu'elle était logée et nourrie gratuitement. D'autre part, elle n'avait aucun autre endroit où aller. Elle ne connaissait personne en dehors du domaine, et elle avait trop peur d'être confrontée au monde extérieur. Mais ce en quoi elle avait plus de chances était les missions qu'on lui confiait. Du fait de sa maturité et du respect qu'elle inspirait de la part des surveillants, elle faisait la lecture aux petits enfants toutes les matinées. Qu'est-ce qu'elle aurait pu espérer de mieux ? Sans doute plus de libertés hors de ces murs, mais le directeur du pensionnat, l'éminent Monsieur Shere Khan, lui conseillait à elle comme aux autres adultes de ne pas s'aventurer au-delà des limites du jardin. Convaincue qu'il en allait de sa propre sécurité, elle n'avait jamais essayé d'enfreindre le règlement.
Elle se redressa lentement, s'étira et regarda l'heure sur l'horloge accrochée au mur de sa chambre. Il était trois heures du matin. Fronçant les sourcils, elle se demandait bien de qui il pouvait bien s'agir cette fois-ci. Était-ce Bobby, le somnambule ? Ou Harry, le gamin qui avait toujours faim ? Souriant à l'idée qu'Harry se lève et puisse engloutir tout un tas de gâteaux au beau milieu de la nuit sans qu'on s'en aperçoive, elle s'aperçut qu'elle n'avait pas fermé les volets de ses fenêtres la veille. Elle regarda par la fenêtre. Tout était sombre, elle ne voyait quasiment rien mis à part les reflets de la lune dans le lac. Elle entendait le vent souffler, comme si une tempête se préparait.
« Il faudrait être bête pour sortir par ce temps, même en plein été » pensa-t-elle.
Elle se leva et colla son oreille contre la porte de sa chambre espérant entendre des bribes de leurs conversations. Elle entendit dans un premier temps des chuchotement, des paroles qu'elle ne pouvait comprendre de si loin. Puis soudain, alors que son sentiment de frustration grandissait, une voix se fit entendre, plus forte que les autres :
- ... vois pas où il peut être ... cherché partout dans le château...
Elle sourit, car bien évidemment, ce qu'elle venait d'entendre confirmait les pensées qu'elle eût quelques minutes plus tôt. Un des gamins rôdait effectivement dans les parages.
Mais son sourire s'effaça, car elle ressentit soudain, une étrange contraction dans son estomac. Un pressentiment. Le vent soufflait plus fort. Elle regarda par-dessus son épaule à travers la fenêtre. Un curieux frisson lui remonta l'échine. Lorsqu'elle avait regardé dehors pour la première fois, il n'y avait rien près du lac, mais à présent se trouvait une ombre.
« Bizarre, ce n'était pas là tout à l'heure. Du moins, je n'ai probablement pas dû faire attention » pensa-t-elle.
Furtivement, elle s'approcha au plus près de sa fenêtre et regarda dehors. Son visage et ses mains collés contre la vitre, elle pouvait à présent apercevoir une silhouette plus nette dans le lac. Elle sentit son pouls s'accélérer. Étant donné que les pensionnaires avaient l'interdiction formelle de sortir en pleine nuit et de se balader dans les jardins, et elle savait pertinemment que les gamins avaient trop peur de s'aventurer près du lac. Il devait alors s'agir d'un étranger. Et à cette conclusion, elle frissonna. Elle essayait de se rassurer en se disant que cet étranger faisait juste une balade nocturne près du lac, qu'il ne devait pas habiter loin d'ici et qu'il retournerait bientôt dormir chez lui. Aucune raison de paniquer, n'est-ce pas ?
Soudain, elle entendit une porte claquer et les voix du couloir qui s'étaient rapprochées de sa chambre. Alors qu'elle pouvait mieux entendre ce que les surveillants se disaient, elle n'arrivait pas assimiler les mots. Comme s'il y avait un blocage. Parce qu'un seul nom aurait pu la déstabiliser autant ; un seul nom qui lui glaça le sang. Elle savait, avec grand effroi, qui était la personne que les surveillants recherchaient. L'enfant qui n'était pas dans lit. Il s'agissait de Mowgli. Et quand son regard s'attarda à nouveau sur l'extérieur, l'ombre avait disparu. Était-il possible que la silhouette qu'elle avait aperçue quelques minutes plus tôt soit celle de Mowgli ? Un frisson de panique l'envahit comme à chaque fois qu'elle pensait à lui.
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Les profondeurs de la jungle
Short StoryLe domaine de Penview, niché dans les montagnes accueillent depuis des générations, des dizaines d'enfants chaque année. Mais aujourd'hui, un enfant en particulier vient rompre la tranquilité de ces pensionnaires. Mowgli est arrivé d'Inde. Tout le m...