Le retourneur de cerveaux

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Petite petite histoire sur une petite petite créature aux grands grands effets. Écrite
pour le grand grand concours Free Your Monster de MiniMarjo à l'occasion d'Halloween 2017 ; et republiée ici par la suite.

***

Peut-être que c'était un monstre. J'sais pas. Je ne sais pas. Peut-être. Probablement. Disons que c'était un monstre. Mais je ne le savais pas. Promis. Je l'ai trouvé au milieu des rayons d'une vieille bibliothèque. Bibliothèque dénichée par hasard, dans un petit village perdu où j'étais de passage le temps d'un week-end. Il était là ; entre les pages d'un livre. Un livre que j'ai acheté. Un rat. Juste un rat. Je crois. Pas vraiment. Je me doutais bien que ce n'était pas tout à fait un rat comme les autres. Parce que je n'ai pas eu peur.

Je ne l'ai découvert qu'en ouvrant le livre, deux jours plus tard. En le lisant. J'ai ouvert le livre et au bout de quelques pages j'ai vu tomber par terre une sorte de boule de poils, noire. J'avais pris comme fauteuil un tas de feuilles mortes dehors sous un arbre, appréciant les couleurs de l'automne qui venaient se mêler aux mots qui me berçaient. J'ai vu cette boule de poils tomber ; et je ne m'en suis pas trop soucié. Je ne me suis pas posé de question.

Au fur et à mesure de ma lecture, la boule de poils grossissait et grossissait. Je ne me suis pas vraiment posé de question. Je me souviens l'avoir eue dans mon champ de vision à plusieurs reprises, me faisant mentalement la remarque que je ne me souvenais pas d'elle si grosse. Mais, arrivé à la fin du livre, je l'ai vue bouger. Ce n'est que là que j'ai remarqué que cette boule de poile ressemblait à un rat. Mais ce qui était étrange, c'est que je n'ai pas eu peur.

Pourtant, j'ai un peu peur des rats. Enfin, je crois. Est-ce que je peux savoir si j'ai peur des rats sans en avoir jamais vu ? Probablement, ça doit être le concept même de la peur que d'avoir peur de choses qui ne sont pas encore là. En tous les cas, je croyais avoir peur des rats. Mais quand j'ai vu celui là, je n'ai pas eu peur. Je ne me suis pas non plus posé de questions sur ce rat grossissant qui était tombé des pages de mon livre. Je l'ai juste laissé grimper sur mon épaule, et venir chuchoter à mon oreille.

Peut-être que c'était un monstre. J'sais pas. Je ne sais pas. Peut-être. Probablement. Disons que c'était un monstre. Mais je ne le savais pas. Promis.

***

Il est monté sur mon épaule. Il a chuchoté dans mon oreille. Je lui ai répondu. Il a parlé avec moi. J'ai parlé avec lui. C'est devenu mon meilleur ami. Pas vraiment. Je ne savais rien de lui. Je m'en fichais. Il ne savait rien de moi. Il savait tout de moi. Il connaissait toutes mes idées. Et je connaissais les siennes. Je ne savais pas quel type de créature il était ; et je m'en fichais. Il me faisait réfléchir sur le monde. Grâce à lui, je me remettais en question. Je prenais conscience de mes contradictions. La vie semblait soudainement prendre sens. Tout avait plus de valeur. Je trouvais des réponses à mes questions. Et je trouvais toujours plus de nouvelles questions.

Mais peut-être que c'était un monstre. Peut-être qu'au final c'était un monstre. Peut-être qu'il m'a juste envouté, hypnotisé, conditionné. Il a passé des mois logé sur mon épaule, ou dans ma capuche. Je ne parlais de lui à personne ; ils m'auraient pris pour un fou. Et je parlais de lui à tout le monde : indirectement. Je parlais de ses idées comme si elles étaient les miennes. On avait tant parlé tous les deux, que je ne savais plus si mes idées étaient les miennes, ou si elles venaient du monstre. Je ne suis toujours pas sûr que c'était vraiment un monstre. Mais c'est ce que les gens ont pensé. Ils ont tous pensé que c'était un monstre. Quand je l'ai laissé sortir.

Au bal des nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant