49 : Le monde d'après

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Le temps leur était compté, mais la fatigue de trois longs jours de chevauchée commencèrent à peser lourdement sur chacun de leurs muscles endoloris.
Tandis qu'Aliénor et Sélénie se chargeaient de négocier la vente des chevaux tout aussi exténués, Méturis et Paulin recherchaient une auberge où rattraper le sommeil perdu. Il leur restait fort heureusement quelques rations, aussi ne durent-ils pas acheter de repas hors de prix ce soir-ci.
Avec l'argent dûment négocié par la druidesse auprès d'un palefrenier véreux, ils et elles purent enfin se reposer dans un hôtel miteux.

Regroupés dans une même chambre, avec pour seul mobilier deux lits simples, deux chaises et un guéridon bancal, les aventuriers s'accordèrent le droit de souffler. Méturis sortit les pains de La Bourgade de son sac, et chacun entama sa part en silence.
Dehors, la ville semblait prendre vie. Si les Paladins Noirs s'exerçaient le jour durant, ils profitaient de la nuit pour dépenser leur solde. La clameur des tavernes remontait depuis les rues, et les lumières des torches falsifiaient le jour autour des coins de beuverie.

Le prestre, assis en tailleur à même le sol, fut le premier à finir son repas et à ouvrir la discussion.
« Nous n'avons que trois jours pour trouver le Reliquaire d'Arsenal, le vaincre, et donner sa Relique aux rats. Et ce, sans être repérés par les Paladins Noirs.

— Il nous faut juste espérer que le peuple sait où il se trouve, nota Sélénie, juchée sur le dossier d'une des chaises. La visite de l'un des généraux du Second ne devrait pas passer inaperçue, si ?

— Les troupes du Second et de la Quatrième ne s'entendent pas, répondit Aliénor. Les soldats d'Ovilath reprochent à ceux de Varlok de privilégier l'Honneur à la victoire, et inversement. Alors peut-être ne s'intéressent-ils pas aux visites des Reliquaires ?

— Ou peut-être que ce ressentiment pourrait jouer en notre faveur ? proposa la fée. L'on pourrait les monter les uns contre les autres...

— À trois jours du conciliabule de la Lune Écarlate ? Il y a peu de chances, commenta Méturis. Ils éviteront tout écart de conduite ; si ceux-ci remontaient par malheur aux Dragons, ils en pâtiraient sévèrement à l'issue de la réunion des Cinq. Ils se tiendront à carreau.

Ne sachant quoi rajouter, Aliénor finit son quignon.

Paulin, jusque là resté discret, sortit de son mutisme, l'air pensif.
— Quel monde laissera-t-on si l'on gagne ?

Cette question attira l'attention et les regards pleins de questions de ses compagnons sur lui.

— Je veux dire, se reprit-il, supposons que l'on parvienne à détruire les Cinq. Qu'est-ce qui empêcherait un général, ou un Reliquaire, de reprendre les rênes de l'Empire ? Et puis, à supposer que l'Empire des Cinq s'effondre pour de bon, est-ce que ce serait réellement pour le bien ? Les Hautes-Terriens se répandraient aussi sûrement que le firent les Dragons en leur temps, et avec eux le culte de la Pureté et les purges qui vont avec...

Personne ne lui répondit, méditant amèrement ces questions. Mais Paulin n'avait pas fini.

— Et la Brèche ? Valin garde la Brèche ; est-ce que sa mort la résorbera, ou bien est-ce qu'elle engloutira le monde ? Et puis même, est-ce qu'il n'y a pas d'autres Dragons tapis dans la Brèche, qui n'attendent que la destruction des Cinq pour jaillir ? Et Ysgrith ? Nous allons occire toute sa fratrie, n'aurait-elle pas envie de se venger en étendant son désert ? Est-ce que notre épée peut la vaincre également, elle qui est faite de sable et de gel ?

Aliénor s'assit aux côtés de Paulin, et posa une main sur son épaule.
— Quand les Cinq chuteront, les Anciens Dragons pourront renaître. Ils s'assureront alors que le monde reste en paix.

— On ne sait rien d'eux, rappela Paulin. Et puis rappelle-toi de ce qui s'est passé, au temple d'Ysgrith. Si les Anciens Dragons sont faits de Purbrasier, quelle sera la place des prestres et des fées dans ce nouveau monde ? Et si Valin meurt, qu'arrivera-t-il aux fées qui lui sont liées ?

Les regards se tournèrent vers Sélénie. Tenant le bout de ses doigts contre ses tempes, elle semblait réfléchir profondément.
— Au pire, commença-t-elle, tu fais comme on avait dit et tu tues pas Valin. Pour ce qui est des autres, tuer Varlok et Ovilath risque fort de livrer le monde aux Hautes-Terriens, ce qui n'est pas bon.
C'est contre un système que nous nous battons, en fait. Abattre les têtes dirigeantes fera forcément bouger les choses, mais pas forcément de la manière qu'on veut. Parce qu'au final, ils font quoi de mal, les Dragons ? Y'avait bien Ixikriss qui était monstrueux, mais les autres ?

Aliénor la regarda un moment, incrédule, et devant le sérieux du visage de Sélénie, énuméra en comptant sur ses doigts :
— Varlok élève des milliers de gobelins et les forme à devenir ses soldats, afin de poursuivre une guerre qu'il pourrait gagner n'importe quand et qui coûte des milliers de vies, aux deux camps, chaque année.
Ysgrith a réduit des pays entiers à l'état de poussière, a ravagé les cultures et déclenché un hiver de cinq ans, et pourrait recommencer n'importe quand.
Ovilath profane tous les corps sans sépulture et forme les Paladins Noirs, qui pillent des villages entiers - entre autres crimes.
Quant à Valin, désolée de te le rappeler, il espionne le monde entier à sa guise et informe ses frères et sœur de tout, le rendant complice.

Sélénie hocha la tête, les lèvres pincées.
— Dit comme ça, c'est sûr, marmonna-t-elle. On pourra tout de même laisser Valin en vie ?

— Tout dépendra de la situation, pronostiqua Paulin. Il pourrait ne pas nous laisser le choix. J'espère tout de même que nous arriverons à un arrangement... »

Un traître bâillement rappela à Paulin sa fatigue. D'un commun accord, tous reportèrent cette conversation à plus tard, et se laissèrent emporter par le sommeil.

Ainsi qu'il fut ÉcritOù les histoires vivent. Découvrez maintenant