Un instant, nous nous fixons, Faune et moi, et rien ne bouge. Nous partageons tous les quatre cet état de stupeur suspendu dans le temps, jusqu'à ce que, à nouveau, Andromaque ne se racle la gorge. J'ai l'impression d'avoir la poitrine prise dans un étau, et des papillons plein le ventre. Je déglutis et humidifie mes lèvres en me redressant – me rendant compte au passage que j'étais légèrement voûtée vers Faune.
« Eh ben ..., souffle Andromaque, ça c'était du trophée. »
Faune esquisse un sourire gêné en riant doucement, détournant son regard de moi. Je prends une grande inspiration, et me tourne vers eux en recomposant un visage mesuré mais amical. Andromaque m'adresse un sourire doux, mais son regard m'interroge, me sonde. Je me demande ce qui l'inquiète.
« On rentre ?, fait-elle dans un sourire en se tournant vers Ajax, on va s'entraîner ? »
Il acquiesce d'un geste de tête très froid. Je m'étonne de son attitude, mais il ne me regarde pas une seconde. Pas un instant. Et je peux seulement spéculer sans lui demander ce qui se passe. L'expression de son visage est impénétrable, tendue. Sa lèvre supérieure frémit, comme s'il réprimait une mimique de dégoût, en permanence. Il fixe Faune, et m'ignore, appuyant encore la sensation de rejet qu'il m'avait donnée plus tôt.
J'essaie de me détourner de lui, de ne pas y faire attention. J'essaie de me répéter qu'il peut être comme ça quelques fois, que ça n'a rien à voir avec moi. Mais sa colère et son dégoût sont presque palpables. Ils planent dans l'air et l'alourdissent. Et je n'aime pas cette sensation.
Andromaque ouvre les portes du gymnase, et m'adresse un signe de main pour que je lui emboîte le pas. Je la rejoins d'un pas pressé. J'ai hâte de sortir de l'air saturé d'hormones de la cour. Je ne m'en cache même pas. Les portes claquent derrière nous alors que j'arrive au niveau de ma comparse. Elle lance un regard en arrière et ne doit pas voir les autres, parce qu'elle se penche vers moi, l'air plus soucieux que ce qu'elle ne le voudrait, et souffle :« Ça va ? »
J'acquiesce, l'interrogeant du regard. Pourquoi est-ce que je n'irais pas bien ? Évidemment, c'était un peu gênant, et l'attitude d'Ajax n'est pas faite pour alléger ce malaise, mais nous avons tous connu pire. Et nous connaîtrons pire. Si je suis ébranlée par si peu, il vaut mieux que je reste à la cité.
« Tant mieux, soupire-t-elle, j'avais peur de t'avoir forcée dans ses bras avec mes bêtises de paris, elle hausse les épaules, ça avait l'air d'aller, mais c'est difficile de savoir, avec toi. »
Je lui souris largement, franchement. Je suis touchée par sa sollicitude. Effectivement, de son point de vue, les choses ne devaient pas être si évidentes. D'autant que peu de temps auparavant, j'avais admis n'avoir aucune expérience, de manière probablement un peu trop brutale pour être honnête.
Je me demande de quoi avait l'air ce baiser, de son point de vue. J'espère que je n'ai pas été trop gauche, trop maladroite avec Faune. Pour qu'elle ait un doute sur mon consentement, je ne devais vraiment pas avoir l'air très assurée.
Je pose une main sur son épaule, amicale. Elle me regarde surprise, et je lui souris. J'essaie de lui montrer que j'apprécie son geste, son inquiétude. Je compte mentalement le temps qui s'écoule entre le moment où je pose ma main, et celui où je la retire. Je n'aime pas particulièrement ce genre de contact, en temps normal. Son contact ne m'incommode pas, mais j'ai eu ma dose de toucher pour la journée, je dois prendre sur moi pour lui manifester ma gratitude.
Elle sourit en retour, et me guide jusqu'à l'intérieur du gymnase, jusqu'à un tapis molletonné. Elle retire ses chaussures, et je l'imite. Les deux autres finissent par arriver, alors que nous nous étirons, installées en symétrique l'une en face de l'autre. Leur pas me paraît lourd, je me demande brièvement si Ajax a toujours été aussi bruyant, ou si la journée s'étirant, je deviens plus sensible au bruit.
Je lève les yeux, et croise son visage, toujours aussi fermé. Mais à ma grande surprise, je remarque que Faune aussi, bien qu'il soit caché derrière un masque de bonne humeur, semble cacher un certain agacement. Il a les muscles tendus, et son sourire est tellement crispé qu'on dirait plutôt une grimace. Je me tourne vaguement vers Andromaque, qui a observe également leur entrée en scène avec un intérêt non dissimulé. Qu'est-ce qui s'est encore passé ?
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Chasseurs D'Ombres - Le secret des colonies
ParanormalPersonne ne se souvient de quand les Ombres se sont abattues sur le monde. C'était il y a des centaines d'années, les gens n'ont pas eu le temps de se mobiliser, de transmettre leur savoir, trop occupés à se battre pour survivre. Et la priorité pour...