Je tire le rideau de la cuisine, observant la rue nerveusement, en portant mon pouce à ma bouche pour me ronger l'ongle. Une sale habitude que j'avais réussi à perdre, mais là j'ai du mal à lutter. J'essaie de voir si sa silhouette rôde.
Je me frotte machinalement le bas du dos, comme si chercher à la voir réveillait la douleur qu'elle a provoqué aujourd'hui. Entre les coups qu'elle m'a mis à l'entraînement, et ceux qu'elle m'a mis pour s'enfuir, plus tôt dans la soirée, je suis endolori de toute part.
Je serre les dents en repensant à ce moment. J'essaie de ne pas y penser, mais mon esprit est comme un animal sauvage tenu en laisse. Dès que je le lâche, il fuit vers ce souvenir. Et je frissonne en revoyant son regard furieux et terrifié à la fois, se poser sur moi. Je secoue la tête. Comment j'aurais pu savoir ? Je lui ai demandé, je lui ai posé la question, et sa réponse était un assentiment clair ... Non ?
J'ai du mal à réfléchir. J'essaie de me dégager de ce manteau de culpabilité. Je ne veux pas regarder cette scène, et me dire que je l'ai forcée. Je ne veux pas regarder en arrière, et me voir comme un agresseur. Je ne veux pas de ce rôle, et j'en veux encore moins quand il s'agit de la vie de Nerys. Je passe une main nerveuse dans mes cheveux. J'ai l'impression d'avoir chaud, j'ai l'impression d'avoir de la fièvre.
Je vais m'asseoir devant la table du salon, dans un des sièges. Comment est-ce que ça a pu dégénérer ? Je me passe en revu cette fichue journée. Rien n'a vraiment tourné comme je m'y attendais, pour être honnête. Rien. Tout n'a été que surprise désagréable sur surprise désagréable.
D'abord, je ne m'attendais pas à ce que Nerys s'entende aussi facilement avec eux. Elle ne va pas vers les gens et même si nous n'avons que rarement eu l'occasion de nous retrouver dans les mêmes équipes de travail, à l'école, je n'ai jamais pensé qu'elle pouvait outrepasser sa froideur pour les besoin du travail en équipe. Je réalise que si elle avait l'air si renfermée à mes yeux, c'est peut-être parce que lorsque j'étais là, elle restait avec moi et que c'était tout ce que j'en retenais. J'essaie de revoir des travaux de groupe, et je me souviens qu'elle ne s'entendait pas si mal avec nos équipiers. Elle ne sociabilisait pas plus que ça, mais peut-être plus par problème de communication que par choix. Alors qu'est-ce qui change ici ?
Ils essaient – je me réponds aussitôt. Ils essaient sincèrement de la comprendre, et de nouer une relation avec elle. D'ailleurs, au vu du déroulement de la journée, j'irais jusqu'à dire qu'ils y arrivent. D'ailleurs, et même si j'aimerais prêter foi aux avis de Nerys, j'ai la féroce sensation que son opinion à leur propos est largement biaisée par le fait qu'elle les apprécie.
Je pose mes coudes sur la table, et me tiens le visage. Je suis encore sidéré qu'elle n'ait aucun soupçons envers Faune. Il a passé la journée à nous balader, à nous conduire à parler de nous, à nous livrer pour qu'il en sache plus, pour qu'il sache comment nous aborder et nous être sympathiques. À apprendre à Nerys une langue que seul lui et Andromaque connaissent pour être sûr qu'elle puisse communiquer avec eux. À me provoquer comme pour m'évincer et pouvoir se rapprocher encore d'elle.
Évidemment que j'ai mal agi en le provoquant, j'admets que ça manquait de subtilité. Mais je repense à son air suffisant quand il a lancé, après que les deux filles soient rentrées sans nous, que je ne savais vraiment pas parler aux femmes. Et que malgré les années que j'avais passé avec Nerys, il était évident que je ne la comprenais toujours pas. Je crispe les poings sous mon menton. Comment j'aurais pu garder mon calme après une telle provocation ? Il cherchait seulement à me donner l'air d'un sauvage, idiot et agressif, et ça a très bien marché. Mais comment expliquer à Nerys que j'ai été manipulé sans lui révéler que c'est par son biais qu'il est parvenu à me faire passer pour un imbécile ?
J'ai toujours pensé que Nerys ne s'intéressait tout simplement pas aux relations amoureuses, quelles qu'elles soient. Allant de la relation sérieuse, au coup d'un soir. Je pensais simplement qu'elle n'était pas capable de le ressentir, et ça m'allait. Je bénéficiais déjà d'un traitement de faveur en étant aussi proche d'elle, ça me suffisait. Mais la voir embrasser Faune ...
L'image me revient en pleine face, et je grimace. Même de l'extérieur, ça se voyait qu'elle s'amusait. C'était la première fois que je la voyais aller jusque là avec qui que ce soit, et je me rends compte que cette sensation de colère et malaise qui me tenaille la gorge, c'est de la jalousie. Je ne voulais pas me l'admettre, mais j'étais la seule personne proche d'elle, jusqu'ici. Je me suis toujours dit que si un jour, elle développait ce genre de désir, ce serait avec moi.
Je prends ma tête dans mes mains en lâchant un soupir. C'est sûr que maintenant, il n'y a plus aucune chance de ce côté. J'ai envie de me défendre, de protester. Je lui ai demandé si elle me trouvait attirant, je lui demandé si elle était intéressée par moi. Elle m'a observé, si intensément que j'ai cru qu'elle allait me transpercer du regard. Et elle a finalement dit oui. L'instant était parfait. Je me revois passer une main sur sa joue et poser mes lèvres contre les siennes. Je me revois savourer, l'espace d'un court instant, ce moment que j'ai tant attendu.
Et puis, plus rien. Elle me frappe. Elle me repousse. Je me mords la lèvre inférieure. Je peux me trouver toutes les excuses du monde, le résultat est le même. Je lui ai arraché ce baiser. Je n'ai écouté que mes propres désirs, et je l'ai blessée. Que ça soit volontaire ou non n'a aucune importance, le résultat est identique. Je soupire.
Trois coups résonnent contre le bois de ma porte d'entrée, et je me lève d'un bond pour aller ouvrir. Ça ne peut être qu'elle. J'ouvre la porte à la volée, pressé de la retrouver pour m'excuser. Mais lorsque j'ouvre, mon regard se pose immédiatement dans celui, d'un bleu intense, de Faune. J'écarquille les yeux, la colère me submergeant l'espace d'un instant. Je pense que je vais le frapper.
Mais je reste suffisamment maître de moi pour réaliser qu'il porte Nerys dans ses bras. Elle a un bras autour de son cou, et me fait coucou de l'autre. Je ne cache pas ma surprise. Elle me pointe son oreille et, dans le cartilage rouge et bouffi de son oreille, je réalise que la pierre de son père est implantée directement dans sa chair. Je reste un instant choqué en observant ce massacre. Je me pince pour m'assurer que je ne me suis pas endormi.
La voix de Faune résonne, lente et mal articulée. Je reporte mon attention sur lui. Ses yeux sont brillants, vitreux, et en avisant Nerys, je réalise qu'elle est dans le même état. Est-ce qu'ils sont soûls ?
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Chasseurs D'Ombres - Le secret des colonies
خارق للطبيعةPersonne ne se souvient de quand les Ombres se sont abattues sur le monde. C'était il y a des centaines d'années, les gens n'ont pas eu le temps de se mobiliser, de transmettre leur savoir, trop occupés à se battre pour survivre. Et la priorité pour...