Chapitre 23.1, La piste des sorcières

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NEVENOE


Nevenoe ne voulait pas retourner immédiatement auprès des dragons. Elle savait qu'en croisant leur regard de feu, elle verrait leur puissance et s'envolerait pour détruire son frère. Le goût du sang était encore tant acide dans sa gorge. Elle ne s'était pas lavé les mains, s'était seulement relevée.

Il y avait tant à faire.

Sans l'ombre protectrice de la ga'wa, sans les mots pleins d'esprit de la sorcière, elle ne savait pas encore où aller. Elle ne pouvait pourtant pas se permettre d'attendre. Elle ne pouvait que compter sur elle-même, sur son esprit qui peinait pourtant à se mettre en marche. Durant une seconde, elle avait senti sur ses épaules un poids qu'elle n'était pas prête à assumer. Sans ces Loups, la chasseuse n'était rien de plus qu'une énième mortelle, qu'une fillette sans nom de famille dans un monde de noble au sexe fort.

L'espoir perçait pourtant les nuages de sa conscience, tentait de se frayer un chemin entre les brides de sa tristesse. Il manquait un corps parmi les cadavres. L'épouse de Vuk, la belle Elnia avait été emportée. Aucune trace de sang ne s'éloignait du camp et, à l'exception des femmes trouvées à l'extérieur, dont le sort ne faisait aucun doute, personne n'était parti. Deas devait se trouver quelque part, entre les mains du Baron. Nevenoe allait la retrouver. Devait tenter de la contacter avant même de lancer une attaque. Avec un allié entre les murs de la citadelle de son frère, ils n'avanceraient plus dans le noir.

Mais la chasseuse n'était pas sorcière. Ne savait manipuler les esprits, ne savait jouer avec les éléments. Elle était née humaine, bien trop humaine et, malgré ses cheveux de feu, n'avait jamais montré la moindre affinité avec la mana.

Il lui faudrait trouver une autre ga'wa.

Nevenoe leva les yeux jusqu'à ciel. Le soleil, à peine visible entre les branches entremêlées, était trop bien remplacé par son frère écarlate. Elle le maudit, le maudit de toute son âme. Inspira, enfouissant au plus profond de son cœur la vague de chagrin qui rêvait de la submerger.

Elle ne pouvait pas se le permettre. En mémoire de ses frères, elle devait se venger. Pour les Seascannes, elle devait le tuer et mettre fin à son règne. Plus encore, pour les dragons, elle devait agir afin de les laisser combattre et détruire les aberrations qu'offrait le pouvoir de Mageia.

— Va rejoindre les autres dragons Dubh. Là où je vais, tu serais tué sans même pouvoir te défendre. Dis-leur de m'attendre, que nous en finirons vite lorsque je reviendrai. Puis que nous partirons combattre la Sanglante.

Une fois de plus, le petit dragon refusa. Il planta dans la mousse humide ses griffes, tapant d'une patte, grondant avec ferveur. La chasseuse ne lui offrit qu'un visage triste, mais implacable. Elle ne tourna pas les talons avant qu'il n'accepte, ne détourna pas les yeux avant qu'il ne parte.

Et, alors qu'il disparaissait entre les chênes roses, elle expira. Elle jeta dans son souffle toutes ses émotions alors que la solitude la cueillait. Elle était seule. N'avait plus d'alliés pour la sauver d'une attaque impromptue.

— Viens me chercher Eiti. Viens me tuer de tes propres mains si tu es encore de mon sang !

C'est vers le soleil qu'elle envoyait toute sa rage. Vers la terre qu'elle canalisa ses sens pour s'accrocher à cette mère unique. La nature, elle, ne changeait pas encore. Il faisait chaud, trop chaud pour les Seascannes. Mais, sous le couvert des feuillus, l'humus brillait encore des gouttes flamboyantes.

Elle les écrasa sans frémir.

Alors que le feu brûlait encore, elle se mit en chemin. Récupéra, sur le corps du garde, couteau et carquois. Dans le camp, elle attrapa un arc de trop mauvaise facture pour être volé. Le contact rassurant du bois entre ses doigts rassura, pour un instant seulement, ses mains tremblantes. Armée, elle était toujours en danger. Mais serait capable de chasser et surtout, d'abattre une proie avant qu'elle ne lui tombe dessus. Ils ne la surprendraient plus. Elle seule donnerait maintenant la mort.

* * *

Nevenoe ne savait pas où ses pas la menaient, mais elle marchait, plus déterminée que jamais. Durant leurs longues vieilles, la ga'wa lui avait parfois parlé de consul de sorcière, de Sabat amusant où se réunissaient les magiciennes solitaires. Pour quelques heures, elles se retrouvaient, échangeaient, pronostiquaient. Beaucoup ne vivaient que pour la nature, femmes à moitié sauvages devenues arbre et animal.

Mais jamais la ga'wa n'avait donné plus d'indication sur leurs lieux de réunions. Elle-même ne s'y rendait jamais. Ses mots, trop énigmatiques, revenaient par brides dans l'esprit de la chasseuse. Nevenoe tentait d'y lire des messages, des indications qu'elle pourrait suivre méticuleusement. Les sorcières étaient des créatures comme eux, bénies seulement par la terre d'une magie dont personne ne connaissait la puissance. Et généraliser l'action d'électron libre était bien trop difficile.

Il devait pourtant y avoir une piste.

Chaque animal laissait une piste. Les sorcières n'étaient rien de plus que des proies plus grandes que celles auxquelles Nevenoe se confrontait habituellement.

Elle ne savait pourtant rien de leur habitude et cela impactait sur ses recherches. La ga'wa partait souvent chercher des plantes. Laissait derrière elle les mêmes branches cassées qu'un homme calme. Coupait d'un couteau qui ne la lâchait jamais les herbes qui l'intéressaient et les effeuillait parfois sur son chemin. Nevenoe fouilla plus profondément dans ses pensées, certaine de trouver là une ébauche de piste. Elle cueillait du millepertuis pour ses brûlures. Des racines de guimauve pour les blessures. Et du sureau pour apaiser les maux.  

[...]

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant