Chapitre 1. La cabane dans les bois

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L'extérieur d'une maison en dit souvent long sur ceux qui y habitent.

Ainsi, tous ceux qui passaient par hasard à côté du Manoir du Docteur Outis Stanhope étaient plutôt d'accord pour dire que le mystérieux docteur n'avait pas l'air de vouloir croiser du monde.

Le manoir était encerclé par des hauts murs, couverts de barbelés. Des chiens énormes gambadaient parfois sur la pelouse du parc. Certaines rumeurs évoquaient même des fosses et des pièges à loup. Dieu seul sait comme de tels aménagements avaient été acceptés par le plan local d'urbanisme... Quoiqu'il en soit, tout semblait fait pour décourager les curieux.

Il fallut donc beaucoup de courage à Hildegarde, que ses parents n'aimaient pas pour l'avoir affublée d'un prénom pareil, pour franchir les obstacles qui séparaient le portail d'entrée des marches du perron.

Elle n'avait d'abord pas cru à sa chance lorsque le taxi l'avait trimballée à travers une succession de champs, couverts de fleurs sauvages, puis elle avait déchanté aussi sec.

Le taxi quitta bientôt le décor bucolique pour s'enfoncer dans un bois lugubre. Il semblait plongé dans un éternel hiver avec ses arbres morts aux branches décharnées. Toute la partie à gauche de la route paraissait avoir été ravagée par un immense incendie. Il ne subsistait que des troncs noircis, dressés vers le ciel.

Une brûlure courut de son épaule au bas de son dos, ravivant en elle d'intolérables souvenirs. Fermer les yeux n'éloignait pas les fantômes. Ils étaient là, plus présents encore et la toisaient avec dégoût. La nuit, c'était pire. Dans la vitre, elle voyait le reflet de ses yeux, ombrés par ses cernes noirs. Hildegarde garda ses paupières ouvertes et ne lâcha plus la route du regard.

La jeune femme n'était d'ordinaire pas bien volubile. Là, elle n'osait même plus ouvrir la bouche. Stupéfait par l'état de l'endroit où sa course le menait, le chauffeur du taxi avait arrêté lui aussi de disserter sur le prix de l'essence et sur les conseils de sa vénérable grand-mère. Cependant, Hildegarde aurait aimé qu'il continue de parler de la clairvoyance de son aïeule à propos de l'évolution des taxis. Tout, plutôt que le silence de la forêt dans lequel ils plongeaient tous les deux.

Elle n'avait pas eu le choix. Elle devait s'éloigner. Elle devait trouver de l'argent et disparaître.

Les mots exprimant son intense volonté de faire demi-tour naissaient puis mourraient sur ses lèvres. Elle ne devait pas repartir, elle devait aller de l'avant. Retourner en arrière... Impossible. Ses pensées s'entrechoquaient dans son esprit, au cœur d'un ballet désordonné. Elle n'eut pas le temps de rassembler le cran nécessaire pour demander au conducteur de la ramener à son appartement.

- Vous êtes arrivée, ma petite demoiselle, soupira-t-il en observant avec un œil sceptique, le portail qui se rapprochait.

Les mains d'Hildegarde pétrirent sa pochette qui contenait l'annonce parue dans le journal du 15 septembre 2011, quatre jours auparavant, et la lettre du Docteur Stanhope.

C'était sa dernière chance. Aucun recruteur n'aurait voulu d'elle avec son casier. C'était une chance inespérée. Inespérée ! Disparaître et subvenir à ses besoins. Être oubliée et s'oublier elle-même.

Elle ne voulait plus renouer avec le monde. Aussi, lorsque le taxi s'arrêta définitivement devant le mur d'enceinte à quelques pas du portail, elle était sûre de ce qu'elle faisait. Elle balaya ses derniers doutes et ouvrit la portière de la voiture.

Les mâchoires d'un piège à loup, dissimulé par les feuilles mortes, claquèrent à deux doigts de son mollet.

Hildegarde poussa un cri et bondit à nouveau à l'intérieur du taxi. Le chauffeur descendit à son tour du véhicule.

Le Foyer [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant