Chapitre 25.1, Les retrouvailles des griffons

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ALYSSA


C'était impossible.

Jamais Alessandre n'aurait pu devenir roi. Il était ambitieux, ce n'était un secret pour personne. Mais les griffons étaient les alliés des tigres. Arthos avait combattu aux côtés de Krevis et de Krevon, avait engagé les terres de Talen comme première région sous l'égide des félins, avait arraché la couronne de son blason pour l'offrir. Alessandre aimait la mémoire de sa famille, bénissait leur fidélité et leur loyauté.

Il ne pouvait pas avoir fait ça.

Thur continuait pourtant son discours. Il racontait comment il avait fuit Talumen avant que les terres n'explosent dans le sang, comme il avait vu au loin s'approcher des créatures gigantesques et répugnantes. Il parlait des viols et des meurtres, des cavaliers rouges de la Carmine qui avaient rapidement envahit le continent. Il ne s'attardait pas sur Alessandre, seulement sur la reine qu'il disait aussi belle que terrifiante.

Sibille.

Le prénom roula entre les lèvres d'Alyssa, enroulé de passion et de violence. Elle avait volé le frère de son coeur, avait tué les tigres, sacrifié leur gens. Elle n'était que sang, que traînée écarlate laissée sur son passage.

Ce n'était pourtant pas les horreurs qu'elle charriait dans son sillage que retenait la griffonne. Mais bien son nom, sa description et surtout le fait qu'Alessandre lui appartenait. Thur racontait qu'il était son chien de garde, son homme de main, son amant et son aimé. Alyssa aimait son frère. Elle l'avait toujours porté aux nues, lui le vaillant chevalier, l'homme que petite elle admirait. Elle préférait Isendre mais ne pouvait s'empêcher de bondir dans les bras du griffon noir dès qu'il passait les portes de Port Mauer. C'était lui qui, le premier, l'avait fait chevaucher. Lui qui lui avait donné sa première épée et lui avait apprit à serrer le manche dur de ses mains encore malhabile.

Lui qui avait trahit.

Devant le silence de la jeune fille, Thur finit par remarquer que quelque chose clochait dans son histoire. Il s'interrompit alors, n'obtenant pas plus de réaction d'Alyssa. Elle était retournée aux forêts de Port Mauer, aux souvenirs de son enfance. A cette période gorgée d'innocence.

— Darea ?

Elle ne réagit pas plus devant ce nom qui n'était pas le sien. Elle avait envie de se lever, de pleurer, de s'enfuir d'ici. Nox était peut-être à ses côtés mais c'était les siens qu'elle désirait. Elle n'y arriverait pas seule. Pas seulement en se présentant dans ces Ramales qui ne voulaient pas d'elle. Pas seulement en découvrant le monde qui l'entourait comme une nouvelle née.

La porte s'ouvrit, déversant sur la taverne une lumière bien vive et faisant rentrer la chaleur. Alyssa tourna le visage vers les arrivants, tout pour mieux se détacher de Thur et des terribles nouvelles qu'il charriait à sa suite. Son prénom s'échappa de lèvres adorées.

Et elle ravala ses larmes. Dans l'ombre, la nuit se modelait, saluait, appréciait. Elle ne la regarda pas. Se releva brusquement pour courir dans les bras de cette silhouette blonde qui ne pouvait pas l'avoir retrouvée aussi facilement. Il était trop tôt pour la question. Elle désirait seulement se blottir dans les bras d'Isendre. Elle voulait seulement pleurer contre lui, prier contre lui, respirer son odeur et se goinfrer de sa présence.

La griffonne pensait être tombée dans les Tréfonds, guidée par des prunelles aveugles jusqu'à un destin incertain. Elle était une Elue sans armée, une femme sans couronnes et sans pouvoir militaire. Mais avec Isendre, tout semblait bien plus facile. Elle avait l'impression de s'être goinfrée de sa force, de retrouver ce port altier et cette hargne caractéristique des griffons. Etre redevenue une Adiant bien avant une Elue.

Elle resta dans ses bras pendant longtemps. Accrochée à son parfum, serrée tellement fort contre lui. Ainsi, la jeune fille semblait si petite et si fragile. Puis elle releva enfin la tête, sourire aux lèvres, joie dans ces yeux devenus plus clairs encore qu'autrefois.

Le silence de Thur la ramena à l'instant présent et lui arracha un rire, le premier depuis des siècles. Le son de sa voix gonfla sa poitrine d'espoir, enflamma son âme de bonheur.

— Comme tu as fait pour me retrouver ? demanda-t-elle lorsqu'elle réussit enfin à s'arracher à son étreinte. Et qu'est-ce que tu fais ici ?

— C'est une longue histoire petite soeur. Une trop longue histoire.

Isendre avait les traits plus tirés encore que les siens et elle lisait dans ses yeux des souvenirs aux reflets écarlates et aux ombres mortuaires. Alors le coeur d'Alyssa se bloqua dans sa poitrine, sa tête se pencha sur le coté, avide de questions, emplie de demandes muettes. Il avait toujours su lire en lui. Et jamais il ne l'avait si bien fait qu'en la regardant, prenant son visage en coupe avant de mieux la rapprocher d'elle pour la serrer encore plus fort. Avec l'énergie du désespoir.

Ce fut pourtant l'homme derrière Isendre qui les ramena sur terre, en toussant légèrement. L'inconnu aux cheveux blonds, à la grande taille, aux traits fins et à l'allure presque trop princière pour le roturier que définissait ses vêtements attira le regard d'Alyssa. Elle plissa les yeux, fronça les sourcils.

—C'est qui ? grogna-t-elle.

— Synsivik, Elu de Lux, héritier légitime de la couronne, répondit-il à la place de son frère.

Alyssa manqua s'étouffer devant la réponse si orgueilleuse de l'inconnu et surtout lancée dans un lieu où la couronne était synonyme de mort rapide. Elle lui jeta un regard noir avant de vérifier si les quelques hommes présents dans la taverne l'avait entendu. Seul Thur avait les yeux plongés sur eux. Il se releva, ses sourcils ne formant plus qu'une ligne au dessus de ses yeux foncés. Le sudiste détaillait Synsivik et il fit un pas de plus, faisant reculer l'Elu. Son rire, sonore, remplie une nouvelle fois la taverne.

— T'as du culot de balancer des titres ronflants ici. T'sais qu'les Iseal sont presque autant détestés que les luxiens ? Q'z'on jamais rien fait pour nous. Crois pas que le fait que tu débarques avec ta gueule d'ange pour demander qu'on s'incline devant toi fera que les hommes te suivront. Les tigres sont morts et z'ont jamais eu de fils.

Alyssa lâcha son frère, s'approcha de Thur pour poser une main sur son bras trop massif. Elle avait déjà vu Synsivik, dans ce cauchemar qui l'avait terrifié au lendemain de son mariage. Elle reconnaissait ses cheveux blonds, sa mâchoire volontaire et les longs cils qui ourlaient ses yeux de glace. Son titre de prince et sa couronne n'était certainement qu'un mensonge un peu stupide. Seul son titre d'Elu était véridique. Seul sa magie était puissante. Ma Sœur guidera ton allié mais ne lui fait jamais confiance. Nox avait été claire. Malgré son silence, elle l'avait mise en garde.  

[...]

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant