Chaleur.
Lumière.
Sec.
Tapis.
Le froid semblait avoir gelé ses idées. Hildegarde aurait été incapable de construire une phrase correcte. Elle approcha ses mains tremblantes du brasier qui flambait au cœur de la cheminée du salon dans lequel les deux femmes venaient d'entrer.
Les flammes ondulaient devant ses yeux. Leur danse réveilla dans son cœur et dans ses souvenirs l'étincelle de folie. La brûlure dans son dos au lieu de la brûler cette fois-ci la réchauffa doucement comme une bouillotte contre sa poitrine. Le visage de certains fantômes, ceux qui jamais n'avaient hanté ses cauchemars, se tordait de douleur dans la cheminée : cette vision la réjouit.
Par-dessus le crépitement des flammes et le sifflement du vent dehors, elle entendit un petit rire. Une bouteille de vin en main, la femme au regard de serpent la toisait avec un sourire condescendant. Hildegarde la préférait sans : elle était carrément flippante.
Elle n'aimait pas du tout la manière que Regard-de serpent avait de la décortiquer des yeux. Non. Elle ne la décortiquait pas : elle voyait clairement en elle. La jeune femme avait l'impression que toutes ses pensées étaient mises à nu.
Regard-de-serpent ne pouvait pas savoir. C'était impossible. Elle avait déménagé, changé son nom de famille... Elle n'avait pas réussi à abandonner son prénom.
Mais si elle savait ?
Le regard braqué sur elle se détourna quand la femme au visage blême porta la bouteille à ses lèvres. Elle but un tiers de son contenu presque cul-sec. Tendue à l'extrême, tentant à son tour de comprendre cette femme, Hildegarde ne bougeait plus. Elle fixait, presque fascinée à présent, la pâleur de celle qui l'avait accueillie. Sa silhouette se détachait sur les tentures sombres et la noirceur du mobilier.
Un éclair jeta des lueurs fugaces sur le profil d'une tête de sanglier empaillée, les cadres dorés d'une multitude de photographies et son reflet dans un psyché. Le visage des chérubins sur les moulures qui décoraient le pourtour, la toisait de leurs petites orbites vides.
- C'est sympa comme déco ? ricana Regard-de-serpent, une goutte de vin rouge sang sur le coin de ses lèvres.
Hildegarde balaya à nouveau des yeux le salon et bredouilla :
- J'ai l'impression d'être revenue là où j'ai passé mon enfance. Même murs d'enceinte.
- Bah, comme ça, tu ne seras pas dépaysée, conclut la femme avant d'avaler goulument plusieurs lampées d'alcool.
Elle posa violemment la bouteille sur un guéridon qui trembla. Hildegarde sursauta.
- Suis-moi. Tu pues, il te faut une douche, la bleue.
« La bleue » reprit son sac et se détacha avec peine de la chaleur du foyer. Regard-de-serpent avait tourné une poignée de porte et s'enfonçait dans un couloir faiblement éclairé. Quelques chandeliers électriques s'allumèrent et accompagnèrent sa progression. Avec un temps de retard, Hildegarde lui emboîta le pas et les deux femmes plongèrent dans le ventre du Manoir.
Ses pieds s'enfonçaient sur un lourd tapis de velours noir qui assourdissait le bruit de leur pas. La proximité des murs si oppressante, ce tapis, ces boiseries sombres : tout semblait fait pour absorber la vie. Rien ne semblait vivant, pas même Regard-de-serpent dont la respiration était si basse qu'on l'entendait à peine. Elle avançait dans le couloir avec une grâce aérienne, toute drapée dans sa beauté morbide. Cette femme était un fantôme qui glissait à travers les couloirs sans un murmure.
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Le Foyer [En pause]
Mystery / ThrillerHildegarde a deux cauchemars. Son prénom pour commencer et son passé. Cependant, un prénom, cela se change alors que son passé, lui, est peuplé de démons qui ne peuvent être oubliés. Accepter l'offre d'emploi du Docteur Stanhope est la seule soluti...