Bonsoir Léa.
Tu ne me connais pas car tu refusais de me rencontrer, cependant...
Je soupire. Ça recommence. C'est le quatrième message de ce genre que je reçois depuis hier soir, et je lis chaque ligne sans laisser percevoir la moindre émotion, lassée. "Car tu refusais de me rencontrer". Un rire amer m'échappe : je n'ai aucune idée de qui il s'agit. Pourtant je sais très bien pourquoi elle dit ça. Enfin, je lève les yeux au ciel en lisant la question fatidique.
... Alors je voulais savoir comment tu vas ?
°°°
Lorsque j'étais petite, à peine une sizaine d'années, j'alternais (comme beaucoup d'enfants) mes visites chez mon père et chez ma mère. Ils s'étaient séparés l'année de ma naissance, ce qui était, croyez-moi, la meilleure chose qu'il pouvait arriver pour eux deux et pour la gamine que j'étais.
Pour être honnête, je n'ai aucune idée de ce que je fais là. Ici, sur cette planète. Mes parents étaient jeunes lorsqu'ils m'ont eue, entrant à peine à la fac. Mon père ne voulait pas que ma mère, enceinte, me garde. Et ayant aujourd'hui l'âge qu'il avait lorsque je suis née, je comprends. D'où l'étonnement que je ressens face au fait que je sois... là.
Bref, je n'étais pas désirée, mais ma mère s'est battue pour me garder, et au final, aucun d'eux n'a regretté cette décision. J'étais leur petite fille, leur poupée, leur appât, leur jouet.
Ma mère avait une idée bien précise de ce qu'elle voulait que je sois : une belle blonde à la silhouette svelte élancée. Comme elle. Perdu : J'ai trop d'androgènes dans le corps, alors j'ai des problèmes de poids, d'acné, de poils, de cycles. Donc mes journées chez elles se résumaient à des régimes qui en suivaient d'autres, des haricots verts et du jambon de dinde, des substituts en veux-tu en voilà, même si je n'en voulais pas.
J'ai réussi à me faire à l'idée que pendant les soirées fast-food avec ma nouvelle famille née du mariage de maman avec beau-papa, je devrais subir les regards peinés de tantes par alliance ne comprenant pas pourquoi moi, je mangeais une soupe.
J'ai aussi réussi à me faire à l'idée que vomir résolvait beaucoup de soucis, et que cette boite de biscuits ne laisserait aucune trace (les deux autres non plus d'ailleurs).
Chez mon père, je pouvais manger comme je l'entendais. Alors le soir, je me retrouvais souvent la bouche pleine, assise dans le canapé avec mes petits genoux couverts par la gamelle de pâtes à la crème pendant qu'il téléphonait... Pendant des heures.
Oh, il devait passer un bon moment, son rire recouvrant parfois les paroles des Winx à la télé. Si penser qu'une enfant mange seule tous les soirs peut paraître triste, alors je vous rassure : je préférais ça à la présence de mon père dans la cuisine ouverte sur le salon. L'alcool ne rendait jamais sa compagnie agréable. Enfin, pour ses nanas, peut-être.
Ne voyaient-elles rien ? N'avaient-elles jamais remarqué les bouteilles de rhum blanc cachées sous le meuble de l'évier ? Dans le porte-parapluie entre les toilettes et le hall d'entrée ? Comment était-ce possible que ces personnes tellement attendries par son statut de papa célibataire ne s'étonnent pas qu'il passe ses soirées au téléphone avec elles plutôt qu'avec moi ? Comment était-ce possible que personne ne fasse rien pour moi à l'époque ?
J'en avais parlé à ma mère. Elle me plaignait beaucoup, et était très en colère contre mon père. Donc pour résoudre le problème, elle m'a fait écrire une lettre à mon père dans laquelle j'expliquais tout ce dont j'avais peur quand j'étais chez lui... À savoir : lui.
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Comment tu vas ?
Non-FictionJournal intime à chapitre unique : celui qui devait se terminer. Et entre autres, une explication à mon silence durant ce dernier mois.