Chapitre 27.2, Le voeu du sorcier

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Nevenoe ne releva pas, se contentant de lui offrir un regard franc. Elle ne voulait pas supplier. Ne voulait plus ramper pour quelques faveurs. Lui, présent sur ses terres depuis certainement aussi longtemps qu'elle, devait parfaitement savoir que les Seascannes se mourraient. Que le Baron, s'il avait interdit les chasses aux sorcières et laissé la terre intouchée, tuait à petit feu les hommes. Il les entraînait dans ces jeux cruels, s'amusait de leur souffrance, violait et pillait sans la moindre piété.

— Le Baron est un monstre pour les humains. Il n'a jamais cherché à brûler mes terres. Si vous protégiez plus ce que vous avez déclaré vôtre, peut-être ne serait-il pas même votre ennemis.
— Vous ne comprenez pas !
— Oh que si je le comprends rouquine, grogna le sorcier. Je comprends que tu apportes le feu avec toi, que tu vas brûler les Seascannes sur tes dragons. Je ne sais pas comment tu as réussi à les convaincre de saccager la nature qu'ils ont toujours protégé au péril de leur vie mais jamais une ga'wa n'accepterait de te suivre dans tes agissements. Si le Baron est arrivé, les Seascannes ont voulu de lui.
— Elles n'ont jamais voulu de lui ! explosa Nevenoe. Ils auraient dû mourir à chaque fois qu'il quittait le village ! Il a tout prit des autres et n'a jamais rien offert aux Seascannes ! Ils...

Elle s'étrangla dans sa colère, serrée par les liens alors qu'elle tentait de se relever une nouvelle fois. Le sorcier ferma ses doigts, la faisant suffoquer alors que le chanvre s'enfonçait dans sa peau.

Des ga'wa, Nevenoe n'avait connu que les mystères et la grand-mère de son clan. La vieille femme était pourtant affaiblie, brûlée et détruite par la vie. Elle n'exprimait son art que dans les potions et la divination. Avait abandonné la magie et les flammes de son pouvoir. Jamais la chasseuse n'avait rencontré de sorcier aussi jeunes. Jamais elle n'avait connu l'immensité de leur pouvoir. Et, alors qu'il serrait un peu plus, elle se prit à trembler.

— Que veux-tu vraiment rouquine ? Ne cherche pas d'excuse à ton combat fratricide. Tu veux la mort du Baron. Mais je sens que tu veux quelque chose de bien plus grand encore. Des pouvoirs ? Des territoires ? Pire encore... Une couronne ?

Nevenoe gronda, incapable d'articuler le moindre mot. Sa peau, déjà, se couvrait de rouge. L'air lui manquait. Il leva les yeux au ciel avant de relâcher ses doigts.

La chasseuse respira douloureusement. L'oxygène brûlait ses poumons et sa tranchée en s'engouffrant dans sa gorge. Elle toussa, se reprit rapidement. La colère gonflait, purulente, en elle. Nevenoe avait accepté bien des brimades. Avait baissé l'échine trop souvent. Mais les accusions faussées la faisait gronder de rage. Il en savait trop, ces mots le vendaient. Mais il ne pouvait pas même imaginer tout ce qu'il ignorait encore.

— Je me fiche du pouvoir ! Je ne veux pas d'autre massacres innocents ! Je veux la paix pour mes Loups, la paix pour ma Meute ! Celle qui était et celle qui sera. Eiti m'a tout prit mais il ne me prendra pas l'espoir. Ils sont nombreux à attendre que quelqu'un le fasse tomber de son trône d'os et de sang ! Ils...
— Protectrice des opprimés... Tu es bien ridicule rouquine. Personne n'agit pour les autres.
— Tu ne connais pas si bien les hommes que tu sembles le croire sorcier. Je veux la paix, quelqu'en soit les guerres pour l'obtenir. Peu m'importe le nombre de corps que je laisserais pour cela !

Il éclata de rire, une nouvelle fois. Nevenoe fulminait, respirait par accoues trop brefs.

— Peut-être que ta vision de la paix est fausse rouquine. Ne t'es-tu donc jamais mise à la place de celui que tu hais si fort ? Peut-être veut-il lui aussi ce que tu désires si âprement ?
— Eiti est une ordure. Il ne veut que le pouvoir pour le pouvoir. Parce qu'il n'a jamais digéré qu'un noble crache à ces pieds il veut contrôler le monde. Et en n'agissant pas, tu joueras le même jeu que lui. En me gardant ici, tu acceptes sa vision du monde !

Le sorcier souleva un sourcil moqueur, ses yeux brillant de malice. A ses côtés, brusquement, son chien se mit à aboyer. Il ne le fit pas taire, le laissant hurler encore et encore. Le canidé finit par s'asseoir et déploya sa gorge pour mieux appeler la lune.

Nevenoe sera les poings, un peu plus fort alors que son regard frémissait de rage et que déjà y brillait des larmes. Elle ne suppliait pas de ces mots mais tout son corps le faisait pour elle. Dans sa colère, la chasseuse appelait la compréhension de cet homme qui n'était rien et qui parvenait pourtant si bien à la faire parler et gronder. Elle sentait bien la tension constante sur ses épaules. Le goût acre de la peur, la brûlure de l'impatience. Elle n'aurait jamais dû partir toute seule. Rester en compagnie de ces dragons, ne pas croire que d'autre seraient assez fou pour l'aider.

Il s'avança d'une démarche malhabile. Boitant de sa jambe droite, il ne lui laissa pas une seconde pour commenter qu'il détachait déjà ses liens. Alors qu'elle ne rêvait que de lui sauter à la gorge quelques secondes plus tôt, elle resta stupéfiait, immobile sur le lit inconfortable.

— Ne crois pas que je prends partie. Les Déesses ne me le pardonneront pas. Toutes m'ont offerts ma magie et ce n'est qu'ensemble qu'elles sont entières. Aucune ga'wa ne t'aidera rouquine dans la guerre qui se profile. Nous respectons les Sides comme des mères et n'en privilégions aucune. Mais contre le Baron, je veux bien t'aider. En échange de bien plus.

Nevenoe se redressa, frottant ses poignets. Il s'éloigna d'elle, ne la quittant des yeux. D'un simple regard, elle lui demanda de continuer. Chercha ce qu'il pouvait vouloir. Elle n'avait plus rien à offrir. Pas de puissances, pas même un nom. Juste elle, ses armes et sa force. Juste ses espoirs et ses rêves. Nevenoe n'était personne, à peine une âme emprunte de justice et d'empathie. N'avait plus même la Meute pour offrir des yeux et des oreilles. Ne contrôlait rien ni personne.

Le sorcier la toisait, semblait lire en elle comme dans un livre ouvert. A ces côtés, son chien se rapprocha. Il se colla contre la jambe de son maître et tourna vers la chasseuse un regard trop humain, d'un vert sapin tétanisant.

— Je veux ton armée de dragon.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant