1. Dolce Follia

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Elle marche.

D'un pas franc et décidé. Comme toujours. Et je l'accompagne. Je ne vois pas son visage, ni le mien. Tout est flou. Mais je sais que c'est elle. Le lien est si fort entre nous qu'il nous permet de nous percevoir de toutes les manières possibles. Même ici, dans les limbes de notre esprit. Là où tout est pur et sombre à la fois. S'agit-il du mien ou du sien ? Peu importe. Ici, je la sens. Mais... déjà, les bords du monde s'effritent. Je vais encore... la perdre. Je l'appelle, encore et toujours plus fort, mais...

... elle ne m'entend pas.

Je cours vers elle, et elle s'éloigne davantage. Je ne vois que son dos. Soudain, je ralentis. Pourquoi ? Mon esprit veut avancer. Je veux la retrouver. Mais mon corps ne me répond plus. Il obéit à quelqu'un d'autre. Et je tombe à genoux. Mais je peux forcer le rêve. Je peux le faire.

Je force davantage, je forcerai jusqu'à ce que la tension dans mes muscles cède et me permette de me relever. Elle commence à céder ! Je lève le bras, je tends la main vers elle. Je peux la toucher. Je peux y arriver, j'y suis presque !

Elle est si proche...

~✶~

J'enjambai le cadavre de la femme dont les yeux dénués de vie semblaient vouloir me communiquer un message. Trop tard. Les meubles étaient retournés, à l'image de ce canapé qui gisait sur le dos, de cette lampe qui avait fracassé la fenêtre de l'autre côté du salon ou encore de ces rideaux arrachés, comme s'ils avaient voulu forcer l'arrivée du soleil. Intéressant. La silhouette prostrée dans l'angle du mur tremblait comme une feuille, recroquevillée sur le parquet. Et ses tremblements n'avaient rien à voir avec le froid de l'hiver.

— S'il vous plaît ! Je ne sais rien, je vous le jure !

Je m'agenouillai en face d'elle, et pris mon air le plus convaincant.

— Je connais de nombreux moyens de stimuler la mémoire.

L'homme était âgé d'une cinquantaine d'années. Il se tassa un peu plus contre le mur.

— Non ! Puisque je vous dis que je ne sais rien !

J'inclinai légèrement la tête. Pourquoi les gens persistaient à mentir lorsqu'ils avaient la preuve manifeste de l'inefficacité de leurs paroles ? Parce qu'ils ont généralement quelque chose à cacher. Même s'ils sont très mauvais pour le faire... Mais j'étais douée pour extorquer des informations. J'avais même été recrutée pour cette raison-là initialement. Avantage vampirique. Dommage pour lui. Le sang s'embrasa dans mes prunelles et l'homme tressaillit. Non d'effroi, mais par anticipation. Ce n'était donc pas la première fois qu'il avait affaire à ce genre de pupilles. Il déployait un effort considérable pour éviter de le laisser transparaître.

— D'accord, Eddy. Si tu dis que tu ne sais rien, je n'ai aucune raison d'en douter ? déclarai-je d'une voix aimable.

Mon compagnon du soir hurla dans le silence de la nuit.

— Mais vous êtes folle ? haleta-t-il en se tenant le poignet que je venais de lui briser.

Ça aussi, c'était quelque chose qui revenait systématiquement et que j'avais du mal à comprendre. Je l'agrippai par la jambe et le traînai comme un fétu de paille à travers le salon et ses meubles renversés.

— Un jour, il faudra que l'on m'explique pourquoi les qualificatifs que l'on m'attribue ont toujours un lien avec la folie ? demandai-je à l'homme qui s'accrochait désespérément au moindre meuble qu'il trouvait sur son passage.

Il essaya de se relever lorsque je l'emmenai près de la fenêtre. Je lui brisai le talon d'une simple pression de la main.

— Alors que, concrètement, il existe bien plus fou que moi dans le monde non ? continuai-je pendant que l'homme se tordait de douleur sur le sol.

Unkind #2 (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant