IV.

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Nous avons survolé la jungle lentement, pour ne perdre aucun détail et retrouver les compagnons de Peter au plus vite. J'ai le temps ainsi de réfléchir à ce qu'il se passe, exercice ô combien compliqué puisque tout semble encore flou ; mes sens sont vifs mais ce n'était pas le cas de ma conscience, qui se débat furieusement afin de distinguer le vrai du faux. Jusqu'à présent, mes émotions ont primé, comme si j'étais endormie dans un rêve merveilleux ; mais plus j'avance, plus les contours se font nets et clairs. A présent, milles questions font surface et je m'empresse de les ignorer pour mieux apprécier le voyage. Je ne grandirai pas, voilà la seule certitude qui se dégage de cet amas d'informations confuses et je m'en satisfais. Je ne comprends en revanche pas ce qui me fait croire en Peter et la confiance aveugle que je place en lui m'intrigue : je ne le connais qu'à travers les contes de mon enfance, dont la véracité est à vérifier mais quelque chose d'archaïque s'agite dans mon ventre et me pousse à le suivre. Cela fait bien des années que je ne me suis pas abandonnée aux mains de quelqu'un et cela m'est aujourd'hui rendu au centuple.

Devant moi, Peter ralentit doucement et me fait signe de ne pas souffler un mot. Je retiens presque ma respiration, alors que lui s'engouffre entre les lianes pour disparaitre dans ce feuillage émeraude. Je décide de le suivre, refusant de ne pas prendre part à cette première aventure. Aussitôt que les grandes palmes se soient refermées sur moi, une lourde chaleur s'abat et je me mets à transpirer. Je remercie le ciel pour mes pantalons bouffants, qui rendent ce fardeau moins pénible. Des chants d'oiseaux multicolores bercent l'atmosphère d'une mélodie harmonieuse et le vrombissement des insectes apaise mes sens débordés. Ma peau frisonne à chaque courant d'air, s'habituant gentiment à cette humidité accablante mais laisse échapper de grosses gouttes qui glissent le long de mes bras pour rejoindre le sol, invisible tant la végétation est dense. Je m'efforce de suivre Peter, qui se faufile sans peine, évitant les épines et et obstacles et me retrouve rapidement perdue au milieu de cette flore. Vite, je me retourne pour essayer d'attraper une lueur rousse entre les arbres mais ne vois que la forêt à l'infini. J'hésite à remonter à la surface pour mieux respirer et attendre à l'air libre mais me raisonne vite : ma première aventure ne se soldera pas par un échec.

Ainsi, je chemine vers le sol, mais reste suspendue entre les branches. Un craquement attire mon attention mais il ne s'agit seulement d'un petit animal de fourrure, dont je n'ai pas le temps d'identifier la nature. Il disparait entre deux touffes de fougères et je me retrouve seule, à nouveau. Je me pose sur un tronc tombé à l'horizontale et attend silencieusement que se manifeste un nouveau bruit que je pourrais suivre comme piste. Mais c'est étrangement le silence qui me révèle cette nouvelle partie de ma quête. Les oiseaux se taisent, témoins d'une chose d'étrange dont j'ignore encore la nature. Je m'accroupis un peu plus sur cette écorce humide, afin de me faire plus petite que les fourmis qui la parcourent. J'ignore les picotements dans mes jambes, ainsi que les feuilles qui chatouillent mon cou. Mais avant que je ne puisse esquiver le moindre mouvement, quelque chose m'attrape le col et je me retrouve face au sol, le bras plié dans mon dos et une lame posée dans le creux de mes omoplates. Je gémis de douleur, et n'essaye même pas de me dégager. Les pirates ? Si tôt ?

Je sens la rage et le désespoir percer ; jamais je n'aurais dû m'aventurer ici sans Peter. Je reste immobile, priant pour que ce dernier vienne me chercher avant que je disparaisse sur les mers.

- J'ai trouvé quelque chose.

Je fronce les sourcils en entendant ce chuchotement doux. C'est la voix d'une femme qui vient de prononcer ces mots, et les inflexions de sa parole me ramènent aux terres étrangères. Elle a seulement soufflé et pourtant je sens trois autres pairs de mains s'afférer autour de moi. On me ligote, m'attachant les membres et entravant ainsi tout mouvement que je pourrais désirer faire. La corde rêche abîme mes chevilles mais je ne laisse échapper aucun son de protestations. On me retourne et j'aperçois alors la plus belle chose que le monde m'ait donné de voir. Son visage hâlé semble briller au contact des rayons de soleil qui s'aventurent entre les branches. Sous de longs cils ourlés percent des yeux à la couleur de l'ébène. Je ne peux plus respirer et je ne sais si c'est la vue de cette magnifique créature ou sa poigne autour de ma gorge. Elle semble intriguée par ma présence ici : ses yeux ne cessent de revenir à mon visage, et à mes vêtements et elle incline légèrement la tête, comme pour mieux déchiffrer mon coeur. Quelque-chose de félin se détache de sa présence, et de ses mouvements. Elle se glisse vers moi, et je retiens mon souffle en apercevant une plume pendre entre ses mèches châtains, éparses dans cette crinière foncées.

- Qui es-tu ? murmure-t-elle et malgré le brouhaha de la jungle qui a repris, je l'entends aussi nettement que si elle avait crié ces mots dans mon oreille.

Je ne répond qu'un embrouillamini de syllabes mélangées, et me maudis encore plus. J'ai cessé de regretter mon inattention : sa beauté me submerge et cette vague soudaine me noie un peu plus lorsqu'elle approche son visage du mien pour répéter. Je sens son souffle chaud se poser sur mes lèvres entrouvertes et mon coeur s'affole dans ma poitrine.

- Qui es-tu ? répète-elle en détachant les syllabes.

Cette fois-ci, un son s'échappe de ma gorge et j'essaie de m'expliquer :

- Je suis une amie de Peter enfin, pas une amie, une connaissance. Il vient de m'amener ici et il est parti à la recherche du trésor pour battre les indiens et je l'ai perdu et puis je vous ai trouvés, enfin non vous m'avez trouvée plutôt et ...

Mais un signe de sa main m'interrompt. Elle se tourne vers ses coéquipiers, deux grands hommes aux visages graves et leur chuchote :

- Ils sont donc là. Déplacez la cachette, je retourne au camp avec celle-ci.

Aussitôt, les hommes disparaissent dans la cambrousse, me laissant seule avec la femme. Elle doit avoir mon âge, mais ses yeux reflètent la sagesse millénaire et son sourire narquois celui d'un enfant.

- A présent, à nous deux, sourit-elle et je sens que le jeu ne fait que commencer.

Et les intrigues aussi ! J'ai vraiment hâte de vous partager ce projet, résultat de mes divagations de confinement hihi
A vendredi prochain ☀️

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant