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Je ne suis toujours pas libre de mes gestes, et mes quatre membres entravés par les cordes me tiraillent douloureusement. Je parviens cependant à ne pas laisser mon inconfort se manifester sur mon visage, afin de garder une tête noble auprès de la jeune femme qui me tient prisonnière. Une lueur malicieuse brille à présent dans ses iris et elle perd son air menaçant alors qu'elle élabore un plan d'attaque. Elle virevolte autour de moi sans pourtant utiliser les mêmes pouvoirs que Peter et mêle lianes et cordes afin d'échafauder ce qui s'apparente à un piège. Des doigts habiles s'agitent sans discontinuer autour de moi et je ne peux rien faire sauf attendre. J'ai essayé de m'envoler pour échapper à l'étreinte de ma prison mais on m'a attachée au tronc d'un arbre et je ne peux m'élever à plus de dix centimètres du sol. J'ai aussi tenté d'assouplir les liens en jouant des poignets mais cela ne les a que resserrés et je sens leur morsure s'attaquer à ma peau un peu plus profondément. Je ne sais quoi penser. La cruauté des Indiens n'est-elle qu'un jeu ? Je l'espère.

Pendant ce temps de réflexion, ma geôlière finit son travail. En l'observant, je comprend que la forêt lui obéit presque, et sa sagesse ancestrale s'ajoute à l'habilité de la jeune femme pour resserrer les liens des pièges qui se tendent. D'un grâce féline, elle saute d'une haute branche pour atterrir près de moi. A nouveau, sa joue frôle la mienne alors qu'elle me chuchote :

- Attention, ça va piquer.

Elle retire l'épine qu'elle avait plongée dans mon avant-bras et bondit en arrière pour se dissimuler dans un fourré. Immédiatement, les buissons verdoyants se referment sur elle et on ne peut apercevoir que deux yeux brillants qui observent impatiemment la scène.

Je me raidis automatiquement mais ne suis pas prête au déchirement qui embrase mon bras tout entier.  Je retiens des cris de douleur alors que le feu remonte mon avant-bras et brûle mon haut de corps. Je ne puis plus bouger et la souffrance parcourt mes os. Je finis par lâcher un terrible cri alors que celle-ci atteint ma tête et j'ai l'impression que mes entrailles fondent. De la bile s'amasse au fond de ma gorge mais je ne peux baisser la tête pour la régurgiter : je suis prise dans un étau de pierre qui refuse de me laisser esquiver un autre mouvement que celui de mes cordes vocales qui hurlent à la mort. Après une éternité, j'aperçois un mouvement dans les branches au-dessus de moi, et reconnais la silhouette qui s'avance. Aucun cri d'avertissement ne sort de ma bouche, alors que je comprends que je ne suis qu'un appas.

- Claire, ça va ? s'inquiète Peter en volant vers moi, sans voir la lueur de détresse que je lui adresse.

Sans réfléchir, il s'empresse d'essayer de détacher mes liens, sans succès. Il tire son poignard de sa ceinture mais à peine l'approche-t-il que je sens sa présence arrachée. Le piège s'est refermé.

La douleur diminue gentiment et je sens mon souffle reprendre. Je halète et me rends compte que des larmes strient mon visage. De ma piqûre, aucune trace, un cauchemar vite effacé, si ce n'est l'embrasement de mon membre qui subsiste encore. Quand je lève la tête, je vois Peter pris dans les lianes, tête en bas. Je veux lui demander s'il va bien mais n'en ai pas le temps. Dans l'intervalle, la magnifique femme saute de sa cachette, et avec un cri de guerre, coupe les liens qui attachent mon ami, qui s'écrase brutalement au sol. Sans un instant de répit, elle le lie au même tronc que moi, et pousse un cri de joie qui résonne dans l'infini des arbres. Je sens la main de Peter se glisser à nouveau dans la mienne, et je frémis. Pendant ce temps, la femme jubile. Elle glisse sa main fine dans ses cheveux, agitant la plume qui scintille au contact de la lumière du jour et s'approche de nous, ses jambes élancées presque entièrement découvertes. Elle secoue ses cheveux qui viennent se placer docilement derrière son dos et lâche un petit rire qui vole entre les arbres.

- D'une pierre deux coups ! chantonne-t-elle et je réalise que sa voix claire est aussi envoûtante que son visage.

Peter ne semble pas atteint par le même charme qui engourdit mes pensées. Il soupire seulement et la fixe droit dans les yeux.

- Bravo Lily, tu peux nous relâcher maintenant ?

Elle secoue vivement la tête alors que son rire se fait plus fort, et les oiseaux semblent se joindre à elle. 

- Pas avant que je n'aie montré ça au camp ! Vous allez devoir me suivre vous deux !

Peter inspire profondément et acquiesce lentement.

- D'accord mais d'abord, libère Claire de l'emprise du Sumac. Tu nous as bien eus, pas besoin de la faire souffrir plus.

Je m'apprête à protester mais la dénommée Lily approche sa main qu'elle vient d'enduire d'onguent de mon bras et seul un gargouilli s'échappe de ma gorge encore enflée par les cris que j'ai poussés. Je sens un froid délicieux engourdir mes membres alors qu'elle caresse ma peau . La crème agit immédiatement, et je pousse un soupir de soulagement. Mon corps revient gentiment à lui et je peux enfin murmurer un petit "merci" qu'elle attrape de ces oreilles fines et auquel elle répond avec un sourire doux qui réchauffe mes joues.

- Ceci fait, on y va ! Hâte de te voir ridiculiser, Peter, fredonne-t-elle et je me sens prête à tout pour attirer à nouveau son regard sur moi.

Elle sifflote trois notes harmonieuses qui se perdent dans les feuilles et un chemin s'écarte entre les branchages. Cette magie m'abasourdit étrangement : après mon envol loin de chez moi, un peu plus de féerie ne devrait pas m'étonner autant. Mais celle qui se dégage de Lily transcende la magie de tous les mondes.

- Après vous, sourit-elle et nous n'avons guère d'autres choix que d'agir comme elle le désire.

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant