C'est au bout des cordes que nous avançons, comme des animaux en laisse mais pourtant, Peter et Lily conversent comme de vieux amis. Elle lui raconte les dernières nouvelles de l'île, insistant sur l'absence prolongée des pirates, qui n'indique rien de bon.
- Peut-être ont-ils finalement abandonné ? ricane le jeune homme.
- J'en doute. Jamais Crochet ne te lâchera. Vous êtes liés, que tu le veuilles ou non.
- Tant mieux. Je me réjouis de croiser à nouveau le fer avec un pirate !
Il flotte à quelques centimètres du sol, aussi loin que ses entraves le permettent. Si habitué à être dans les airs, il préfère voler que se poser et marcher. J'ai essayé de le suivre mais me suis emmêlée les pieds, puis ai failli me retrouver face dans la boue alors je marche, essayant de garder l'allure des longues jambes de notre geôlière. Elle saute de pierre en pierre, par-dessus branches et ruisseaux, au-delà des rêves et des espérances. Je me retrouve éclaboussée de boue alors que son corps entier reste immaculé. La forêt s'ouvre alors sur une grande rivière, dont les vaguelettes claires lèchent les pieds nus de la jeune femme. A droite, une cascade chante une mélodie d'amour et son eau cristalline se mêle à celle d'un petit lac en bouillonnant. Je rêve d'aller m'y baigner, sentir la fraicheur étreindre mon corps et me laisser couler en son sein mais nous poursuivons notre route. Pour traverser, elle demande à Peter de la porter, et il s'exécute, tandis que je peine à les suivre, mouillant le bas de mes jambes. Je ne m'en plains pas, car l'eau apaise les morsures des cordes. Voyant avec quelle facilité Peter vient de soulever Lily, je me demande pourquoi il refuse de s'enfuir. La jeune indienne lit mon coeur et mes interrogations et me sourit gentiment :
- C'est un pacte entre les miens et le "Petit doigt volant", comme nous l'appelons. Si nous les attrapons, alors ils ne peuvent s'échapper et doivent se soumettre au châtiment. Même chose dans le cas contraire.
A l'appellation "Petit doigt volant", la mine de Peter se renfrogne et il râle :
- Lily, si on pouvait éviter ce surnom, j'en serais reconnaissant !
- Ah non ! C'est le nom qui t'as été attribué : t'avais qu'à refuser ! s'esclaffe-t-elle en lui chatouillant le menton.
Je ne peux m'empêcher de sourire, et baisse les yeux en apercevant le regard de Lily sur moi. Je ne peux soutenir ces prunelles, qui transpercent mon coeur de mille flèches ardentes. J'ai l'impression de sentir les échos du Sumac dans mes joues, et ma respiration se fait laborieuse. Elle le remarque, car elle ralentit son pas, sans se douter que j'aurais pu courir des kilomètres sans m'essouffler autant que lorsqu'elle plonge sa main dans ses cheveux pour les replacer derrière ses oreilles pointues.
Néanmoins, cela me permet de justifier une approche physique, et je me mets à ses côtés alors que Peter nous guide. Nous parcourons encore un petit bout au milieu de la jungle pour enfin déboucher dans la savane. Je m'étonne de ces changements de milieux si abruptes, mais me résonne en énumérant toutes ces choses incongrues : nous sommes au Pays Imaginaire, et s'il porte ce nom, c'est bien pour une raison. Il est merveilleux d'y vivre, et je sais que je ne m'en lasserai, bien que je me suis posée il y a moins de trois heures.
Nous croisons des rhinocéros et je lâche un hurlement lorsque l'un d'entre eux nous charge. Lily l'arrête d'un geste de la main et nous devons presque réanimer Peter tant il rit de m'avoir vue si paniquée. Je ne m'habituerai pas aussi vite aux merveilles de ce monde.
Un singe s'approche et nous observe alors que nous lui passons devant. Je lui adresse un petit geste de la main et manque de m'encoubler en voyant qu'il me répond. Avant que je ne puisse adresser la moindre parole, il file entre les hautes herbes et je ne vois que sa queue qui se dresse au milieu de cette immense étendue jaune. Le soleil tape fort et je me réjouis de retrouver l'ombre de la forêt, de sapins cette fois. Il fait immédiatement frais et je m'en réjouis. Mon visage rougeaud reprendra probablement une couleur acceptable, et je me dois d'être présentable pour mon châtiment chez les Indiens. Je me demande de quel ordre il sera. M'humiliera-t-on ? Je ne m'inquiète pas plus que ça, rassurée par l'assurance de Peter et la gentillesse de Lily, qui s'inquiète de me voir trébucher à chaque pas. Elle regarde mes sandales, dubitative, avant de me décider à les enlever. Je crains de m'écorcher les pieds sur le sol couvert d'épines mais elle insiste pour que je les ôte, ce que je fais finalement. Lorsque ma plante se pose sur le sol, je grimace d'avance mais il me semble marcher sur un coussin d'air. Lily me fait un clin d'oeil et je comprends que je ne suis pas au bout de mes surprises dans ce monde si étonnant.
- Nous voilà bientôt arrivé ! s'exclame la jeune femme en désignant la trouée lumineuse qui s'étale sur une petite clairière. Mais faisons une pause, tu as des choses à me raconter, toi.
Elle me désigne et je détourne le regard. Que veut-elle donc savoir ? Que puis-je lui dire ?
Nous nous installons dans l'herbe grasse qui chatouille mes mollets. Je me permets alors de poser la question qui me taraude l'esprit, alors que Lily sort un morceau de pain de son petit sac.
- Mais si on a fait ce pacte, pourquoi doit-on quand même être attaché ?
- Ça rajoute un peu de fun, tu ne trouves pas ? rigole Lily et son rire s'effeuille dans le vent.
Je hoche la tête et je souris, n'osant rien rajouter. Elle sépare la nourriture en trois, et nous dégustons ce petit repas au soleil. Mes dents percent sans résistante la croute et j'ai l'impression de ne jamais avoir goûté du pain. Les sensations sont démultipliées et mes papilles gustatives aux anges. La pomme est juteuse mais croquante, sucrée et je sens que je pourrais en manger toute ma vie. Pendant que je redécouvre les goûts de la vie, Peter et Lily discutent encore.
- Les pirates ont tenté la dernière avancée il y a deux lunes. Ça ne leur prend jamais autant de temps de se remettre, murmure Lily, en fixant la forêt. Mon père s'inquiète, et le village aussi. On est prêt à se défendre mais cette indécision est terrible et nous divisera probablement.
- Dans tous les cas, ils ne nous ont jamais battus. Aucun pirate ne verra cette île sans les Indiens et les Garçons Perdus.
- Mais Peter, nous perdons des hommes à chaque fois ! Vous non plus ne vous en tirez pas sans dommages ! s'indigne la jeune femme, en fronçant les sourcils.
- Je sais, je sais mais c'est dans l'ordre des choses... Nous les affronterons autant de fois que cela est nécessaire.
Lily se relève gentiment et d'un geste enlève les brindilles et les bouts d'herbes qui s'accroche à elle.
- Enfin, avant d'affronter Crochet, vous devrez affronter le village.
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Jamais demain
Fanfiction« - Peter, attend ! [...]Les pensées se bousculent et s'emmêlent. De vieilles comptines, d'anciennes fables reviennent à moi, perdues dans les méandres de l'enfance, temps qui va bientôt disparaître puisqu'il est bientôt minuit. Tous les enfants gra...