VII

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POUR PARVENIR AU CAMP INDIEN, qui se dessine dans l'horizon, sous un ciel topaze et un soleil brûlant, il faut s'engager sur un chemin à découvert, qui serpente entre les rares arbres qui se sont aventurés hors de la forêt. Alors, si on avance assez, on se retrouve entouré par la Mer Imaginaire, qui se brise sur les versants des falaises, projetant des milliers de gouttelettes salées qui s'échouent sur nos lèvres. Des mouettes crient quelque part mais elles sont trop loin pour que nous les apercevions et j'ai beau plisser les yeux pour les protéger de la chaleur extrême, et pour mieux voir dans l'éblouissement que nous subissons, le camp parait s'éloigner à chaque pas que nous effectuons. Mes jambes sont meurtries et je me retiens de pousser de longs soupirs pour garder ma contenance auprès de Lily et de Peter.

Ce dernier garde un visage serein, et une lueur espiègle allument ses yeux noisette. Il insiste pour me montrer une chose, en bas des falaises, un nid d'oiseau étrange, et Lily accepte de faire ce petit détour, tant Peter semble excité à l'idée de revoir le volatile et ses enfants. Les vagues, de ce côté, sont moins menaçantes mais la hauteur de la falaise est encore plus vertigineuse. Je n'ai jamais été douée pour l'estimation de distance, et les illusions perpétrées par les crevasses dans la roche perturbent un peu plus mon oeil hasardeux, mais j'ai la nette impression séparée de la mer par une tour Eiffel. Je m'accroupis, car ma peur du vide coupe mes jambes et observe ce que Peter me désigne de son doigt tendu.
L'oiseau est magnifique, et je crois bien qu'aucun de ses semblables ne peuple notre monde. Des ailes miroitent la lumière du soleil et, comme un prisme, renvoient un minuscule arc-en-ciel qui s'évanouit dans l'air, et dans les vagues. Un bec d'or donne la becquetée à un oisillon gris et cotonneux comme les nuages, s'évanouissant presque dans ce nid de plume et de branchages entremêlés. L'oiseau nous voit et pousse un cri qui résonne comme un chant de sirènes, cristallin et clair malgré le vent qui s'engouffre dans nos oreilles et assourdit les autres bruits ambiants.

- C'est un Narcan. C'est rare d'en voir un jeune comme ça, chuchote Peter à mon oreille.

- Ils sont convoités par les pirates, à cause de leurs rémiges et de leur bec. Les petits ont les poils doux comme les pissenlits, imperméables à la pluie et à l'écume, et gardant la chaleur comme la meilleure des fourrures. C'est étonnant qu'elle le couve si proche de la mer, par ces temps, complète Lily.

- Est-ce que cela a un rapport avec l'absence des pirates ?

- Probablement. Deux lunes, et la nature reprend ses droits. Si l'absence de ces vauriens m'inquiète, je me réjouis de voir l'île revivre, comme avant leur arrivée.

- J'espère qu'elle aura le temps de le laisser voler, avant leur retour, je murmure, sous le charme de cette magnifique scène.

- S'ils reviennent un jour, insiste Peter en se relevant. Si ça se trouve, ils ont bien vu qu'ils n'auraient jamais l'île, et encore moins ma peau. Crochet est peut-être persistant, il n'est pas stupide et reconnaîtra une cause perdue. Ca fait des années que cela dure, c'est assez maintenant.

- Si tu le dis... Je resterai prudente dans tous les cas.

Je ne peux ajouter aucun mot, trop extérieure encore à ces histoires. Sans savoir pourquoi, je prie pour rencontrer un jour ces pirates, prouver ma valeur dans un combat pour l'île, les repousser à force de lame et de sueur, les emprisonner dans leur navire, pour les faire voguer loin d'ici et me montrer digne du regard de Lily.
Elle remarque mon air conquérant et sourit avant de me caresser la main :
- Allons-y, il est temps de démonter mon ingénieuse victoire aux miens !

Elle se relève à son tour, et avant qu'elle n'ait pu esquisser le moindre pas, je sens la corde qui m'attache à elle se tendre alors qu'elle tombe dans le vide. Deux secondes après, je la suis, et n'ai pas le temps de réaliser ce qui m'arrive. Je vois seulement les rochers se rapprocher, la mer se déchaîner plus proche. Le vent siffle, je crie mais n'entends rien sortir de ma bouche, attrape la corde pour m'accrocher à quelque chose, et finis par trouver le bras de quelqu'un, que je serre de toutes mes forces. Je ferme les yeux, pour ne pas voir plus et attends l'impact.

Qui finit par arriver mais c'est une force vers le haut, qui d'un coup s'exerce sur mes chevilles. Je finis la tête en bas, à observer le monde à l'envers. Je tiens encore l'avant-bras de l'indienne, qui fixe Peter d'un air exaspérée, elle à l'horizontale, ayant la corde reliée à sa ceinture. Peter voltige au-dessus de nous, supportant nos poids et nous faisant lentement remonter, un sourire goguenard pendu à ses lèvres et la frimousse fière. J'ai une terrible envie de le gifler et ne semble pas être la seule. Enfin, je me rend compte que moi aussi je vole. Je le rejoins, l'aidant à porter Lily, même si son poids paraît dérisoire. Le garçon ne peut s'arrêter de rire, et se moque de notre frayeur en se tenant le ventre. J'attends d'être à nouveau sur la terre ferme pour me venger, trop effrayée de m'écraser en contrebas. Mais Lily s'exécute avant moi : elle lui assène une claque monumentale, qui résonne dans l'air et qui peint la joue du jeune homme d'une magnifique marque rubis. Elle ne prononce aucun mot et le tire d'un coup sec vers le camp. Je suis paisiblement, les genoux et mon coeur tremblants.


((blblblblb j'aime tant Lily))

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant